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tentaient bien jadis de trouver dans les ports neutres quelque secours lointain et inattendu ; toutefois elles continuaient à tirer de leur propre fonds leurs principales ressources ; les corsaires sortaient de leurs ports et y rentraient à travers les escadres de blocus ; la marine qu’elles créaient dans les momens de péril conservait un caractère vraiment national. Mais de nos jours qu’avons-nous vu ? Lorsqu’éclata la guerre civile des États-Unis, le gouvernement de Washington, bien que pris à l’improviste, avait les moyens de réunir une flotte nombreuse ; les insurgés ne possédaient ni navires de guerre ni marine marchande. On pouvait donc croire que le conflit ne sortirait pas des bornes, déjà si vastes, du continent américain, et cependant, à une distance immense des ports des états du sud, on vit bientôt s’improviser une marine confédérée.

Des ports de la Grande-Bretagne sortirent trois bateaux à vapeur construits dans des chantiers anglais, armés de canons anglais, qui se jetèrent sur le commerce américain, parcoururent les mers en tous sens avec une célérité qui les rendait insaisissables, et, sans faire de prises, détruisirent et incendièrent cargaisons et navires. D’autres vaisseaux plus formidables, espèce de forteresses mouvantes sur lesquelles s’épuisait l’art de l’ingénieur moderne, furent mis en construction dans les ports anglais, et le gouvernement confédéré put émettre un emprunt dont le produit était notoirement destiné à compléter cette flotte. Sans faire sortir un seul vaisseau de ses ports, le gouvernement de Richmond trouva moyen en peu de temps de détruire des navires dont la valeur totale s’élève à plus de 100 millions de francs, et d’obliger la marine marchande des États-Unis à dénationaliser un nombre de vaisseaux jaugeant ensemble aujourd’hui 300,000 tonneaux. Le vaste courant commercial que les états du nord avaient détourné depuis trente ans à leur profit vint s’ajouter aux courans ordinaires du commerce de la Grande-Bretagne. On conçoit sans peine qu’en présence de tels résultats, une grande partie du peuple anglais ait montré peu de sévérité pour des violations du droit des gens dont, en somme, il bénéficiait. Les classes commerçantes ne pouvaient voir avec déplaisir ce qui restait encore de la marine marchande américaine obligé de subir les frets de la marine anglaise, et les classes aristocratiques oubliaient les traditions de la politique nationale, toujours si favorables aux droits des belligérans. C’est heureusement l’honneur et la sauvegarde des sociétés libres que les majorités n’y peuvent réussir à étouffer la voix des minorités, que la justice et la raison, lorsqu’elles trouvent des organes courageux, parviennent toujours à se faire entendre, et que la virile habitude de la discussion y rend les reviremens d’opinion plus faciles. On avait laissé échapper les premiers corsaires confédérés ;