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pour une somme de 800 dollars. Le Bolivar captura plusieurs navires, portugais, espagnols et brésiliens. Un procès fut commencé contre un coacheteur, Quincey, qui avait acquis le vaisseau à Baltimore d’accord avec Armstrong. Ses avocats prétendaient que, le Bolivar n’étant ni armé, ni prêt aux hostilités au moment de quitter Baltimore, Quincey devait être acquitté ; mais la cour suprême des États-Unis, appelée à définir les points dont la décision devait être livrée au jury, rendit un jugement où il fut expliqué très clairement que l’intention bien arrêtée d’employer le Bolivar comme un corsaire, lors même qu’il ne pouvait l’être qu’après avoir complété son armement dans les Antilles, était une violation de l’acte de neutralité.

Dans ces deux arrêts du Gran Para et du Bolivar, les juges américains distinguent toujours avec soin ce qu’Historicus appelle brièvement l’animus vendendi et l’animus belligerendi. L’intention belligérante est coupable, mais l’intention de vendre est, à leurs yeux, innocente. C’est ce qui ressort encore clairement du jugement rendu dans l’affaire de la Santissima Trinidad, jugement qu’on a pourtant quelquefois opposé aux précédens, et que les ennemis des États-Unis ont tenté d’exploiter en Angleterre pour empêcher la saisie des corsaires confédérés. Après la guerre de 1812 entre les États-Unis et l’Angleterre, un des corsaires construits à Baltimore et employés pendant la durée des hostilités fut vendu par ses propriétaires et envoyé au Brésil. Les nouveaux propriétaires n’étaient entrés dans aucun arrangement préliminaire, soit avec le gouvernement du Brésil, alors en guerre avec l’Espagne, soit avec des Brésiliens. La Santissima Trinidad fut achetée au Brésil par des particuliers, y reçut une commission comme vaisseau de guerre régulier, et alla croiser sur les côtes de l’Espagne. Elle retourna ensuite à Baltimore, où elle enrôla trente hommes de plus dans son équipage, et revint croiser dans l’Atlantique. C’est alors qu’ayant fait une prise, elle l’amena à Norfolk, où le consul espagnol la réclama au nom des propriétaires. La cour ordonna la restitution de la prise, par la raison que l’enrôlement de matelots à Baltimore était « une violation du droit des gens aussi bien que des lois municipales américaines. » Tout en restituant la prise, la cour n’admit point le motif tiré du fait que la Santissima Trinidad avait été primitivement équipée dans un port américain.

La première fois que ce vaisseau sortit de Baltimore, il cherchait seulement un marché pour y être vendu, et la cour ne jugea pas qu’il y eût connexité entre cette première opération commerciale et les opérations de guerre qui suivirent. Le jugement rendu en 1822 dans cette affaire délicate prouve donc que, dans la doctrine américaine, il est permis de construire et d’armer un navire, fût-ce