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pirates les corsaires confédérés. M. Seward n’ignorait pas cette préoccupation lorsqu’il écrivait le 21 mai 1861 à M. Adams : « Vous êtes déjà autorisé à proposer à la Grande-Bretagne notre adhésion à la déclaration du traité de Paris. Si elle s’y refuse, ce ne peut être évidemment que dans le désir de devenir le soutien de corsaires qui tendent à notre ruine. » Du reste, les représentans de la France et de l’Angleterre ne déguisaient point cette inquiétude. M. Thouvenel écrivait le 9 septembre 1861 à M. Mercier : « Si les États-Unis avaient adhéré avant la crise actuelle à la déclaration du congrès de Paris,… le cabinet de Washington s’en fût, sans nul doute prévalu pour contester aujourd’hui aux états du sud le droit d’armer des corsaires… Il importait évidemment de prémunir le cabinet de Washington contre la conviction où il pouvait être que le traité projeté nous obligeât aussi à considérer désormais comme des pirates les corsaires du sud. » Lord Russell tenait le même langage à M. Adams le 28 août 1861 : « Il arriverait, par suite de la position prise par les États-Unis, que les corsaires du sud pourraient être traités en pirates. »

Ces paroles ne s’inspiraient que d’un sentiment d’humanité, car dès le 23 mai 1861 M. Thouvenel promettait à M. Dayton « qu’aucun corsaire ne serait équipé dans les ports français, » et malgré les tentatives des agens confédérés, qui à diverses reprises ont ému l’opinion publique, cette parole a été fidèlement tenue. Il n’entrait pas plus dans la pensée de lord Russell que dans celle de M. Thouvenel de donner, par la reconnaissance des confédérés comme belligérans, et par les exigences qui empêchèrent M. Seward de souscrire au traité de Paris, un encouragement à des entreprises fatales au commerce américain ; mais, bien qu’il fût armé d’une loi spéciale contre de telles entreprises, le gouvernement anglais se montra longtemps impuissant à les réprimer.

C’est au mois de mai 1861 que l’Angleterre reconnut les insurgés comme des belligérans, et bientôt l’on vit sortir des ports anglais des corsaires confédérés. Le premier fut le Florida ; son histoire est assez obscure, parce qu’à ce moment les agens du gouvernement confédéré en Angleterre s’entouraient encore de mystère. Le Florida fut bâti à Liverpool, percé pour six canons, et entièrement "équipé comme un vaisseau de guerre, sous le nom d’Oreto. Il demeura quelque temps dans ce port, où sa destination était parfaitement connue : le ministre américain l’ayant signalé à lord Russell, une enquête fut ordonnée ; mais elle fut conduite de telle façon qu’elle n’amena aucun résultat. L’Oreto prit des lettres de bord pour Palerme et la Jamaïque, enrôla un équipage de cinquante-deux hommes, mais se porta directement vers Nassau, le port colonial anglais des Bahamas qui est devenu-le centre de tout ? le commerce