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dans cette question danoise, l’Angleterre est bien moins intéressée que les autres grandes puissances neutres à empêcher le démembrement du Danemark, et bien plus intéressée que ces puissances à ne point provoquer l’hostilité germanique. Un démembrement du Danemark qui donnerait les clés de la Baltique à l’Allemagne serait bien plus menaçant pour la Russie que pour l’Angleterre. La Russie n’a d’autre issue maritime que le Sund, et qu’est-ce que la petite Baltique auprès des mers où domine le pavillon anglais ? L’oppression d’un état faible sur le continent blesse dans ses intérêts une puissance continentale telle que la France, qui a grandi depuis des siècles et a maintenu sa sécurité en protégeant les faibles contre les envahissemens des forts, bien autrement que l’Angleterre, qui, lorsqu’elle veut prendre part aux luttes continentales, n’a que faire du concours des petits, et a besoin d’opposer à ses ennemis les masses armées de quelque puissant allié ? Les progrès de l’Allemagne vers l’unité, qui préparent à la France un voisinage incommode et redoutable, sont loin, pour cette raison même, d’inspirer des ombrages à la politique anglaise. Dans la balance des intérêts, l’alliance allemande a donc un plus grand poids pour l’Angleterre que la sympathie danoise. Il serait puéril de prendre le change sur cette réalité. Il y a dans le parlement et dans la presse anglaise un noyau d’hommes politiques à vues lointaines et persistantes qui, dès l’origine de la question dano-allemande, ont vu les choses ainsi, et ont signalé le danger d’un conflit armé avec l’Allemagne. À la tête de ce groupe est M. Kinglake, l’historien passionné de la guerre de Crimée, qui, dans sa conduite parlementaire ainsi que dans son livre, s’est posé comme l’adversaire des guerres entreprises par l’Angleterre en alliance avec la France, et prêche le retour de l’Angleterre à ses alliances d’autrefois avec l’obstination d’un homme qui aurait été le contemporain de lord Castlereagh. Un membre très spirituel de la chambre des communes, M. Bernal Osborne, est devenu récemment encore l’orateur de cette opinion ; il proclamait, il y a peu de semaines, qu’une guerre de l’Angleterre contre l’Allemagne serait une guerre suicide. Dans la presse, le Times, par intervalles, et constamment les écrivains influens et piquans du Saturday Review ont soutenu les mêmes idées. À mesure que l’on arrivait vers l’alternative de la paix ou de la guerre, ce groupe politique se grossissait naturellement des partisans de la paix quand même, MM. Bright, Cobden et leurs amis, des hommes politiques de plus en plus nombreux qui n’aiment pas que l’Angleterre se mêle des affaires du continent, qui, s’appuyant sur l’histoire, rappellent qu’elle ne rencontre dans ces affaires que des occasions de ruineuses dépenses, des amitiés coûteuses et inconstantes, de compromettantes tracasseries. À propos justement de la question dano-allemande, où il a joué un rôle diplomatique important, lord Wodehouse disait, il y a peu de semaines, à la chambre des lords, que la leçon qu’il avait tirée de cette négociation ingrate, c’est que l’Angleterre devrait à l’avenir éviter autant que possible de se mêler des affaires continentales. Ces idées, ces instincts, ces ten-