Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 52.djvu/262

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pagnée ni de repos de conscience, ni de foi en elle-même. C’est une paix où règne, comme dans l’état de nature, le droit du plus audacieux et du plus fort, une paix qui n’est plus dominée par une autorité préventive capable d’arrêter à temps des effets de dissolution pareils à ceux que nous avons sous les yeux. Il y a plusieurs mois, prévoyant les tristes avortemens qui viennent de se produire et les progrès du désordre politique qui a envahi les régions gouvernementales de l’Europe, nous faisions remarquer que cette autorité préventive, qui nous paraît être la garantie d’une situation pacifique de quelque durée, ne pouvait sortir des improvisations confuses d’une conférence ou d’un congrès ; nous montrions que cette autorité ne peut se former que grâce à certaines combinaisons d’alliances. Nous prenions des exemples dans le passé le plus rapproché de nous. Nous montrions que, soit au profit des idées conservatrices exagérées, soit au profit des idées libérales, cet ascendant moral avait trouvé deux fois sa forme et son instrument efficace dans notre récente histoire. La période de réaction conservatrice a eu cette influence dirigeante dans la sainte-alliance ou plutôt dans l’union durable qui s’était établie entre la Russie, la Prusse et l’Autriche. La période d’expansion libérale l’a trouvée dans l’alliance de la France et de l’Angleterre. Ces combinaisons donnaient à l’Europe d’un côté certaines conditions de stabilité, de l’autre les conditions logiques d’un développement libéral mesuré. L’alliance du Nord maintenait la configuration extérieure des états européens ; l’alliance anglo-française protégeait l’essor politique intérieur de ces états. On a eu avec cette distribution des alliances non-seulement la paix, mais la confiance dans la durée de la paix. L’esprit public en Europe était discipliné, guidé, rassuré par la vue des systèmes politiques en vigueur. L’alliance du Nord domina sans partage pendant l’époque de la restauration ; elle poursuivit par ses congrès et ses interventions armées son œuvre de sévère compression. La révolution de 1830 mit un terme à sa prépondérance. Après 1830, grâce à la similitude des institutions, grâce au triomphe simultané des idées libérales en France par la révolution, en Angleterre par la réforme, grâce au désintéressement des deux dynasties, auxquelles on ne pouvait attribuer aucune fantaisie de conquête territoriale ou d’agrandissement personnel, fut formée avec une sorte de spontanéité l’alliance anglo-française. Cette alliance refoula pour ainsi dire vers l’est et le nord de l’Europe l’influence de la coalition du Nord ; dominant à l’occident, elle fit la Belgique, et donna au Portugal et à l’Espagne le régime constitutionnel. C’est lord Palmerston, qui, aux qualités brillantes de son intelligence, n’a jamais uni cette dose d’esprit de généralisation et de philosophie indispensable à l’homme d’état, c’est lord Palmerston, taquin, processif, courant après les succès accidentels, qui ébranla le premier l’alliance anglo-française, et qui dans les affaires d’Orient se mit au détriment de notre pays en coquetterie avec la Russie et ses satellites. On sait les fâcheux effets qu’eut cette altération de l’alliance anglo-française, pour nous d’abord, pour les idées libérales, et même en