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sa diplomatie cause à l’Angleterre une profonde blessure. L’Angleterre peut à bon droit reprocher à ses ministres d’avoir compromis son honneur en allant trop loin dans une voie sans issue. La droiture des intentions qui ont dirigé lord Russell dans ses longs efforts de conciliation ne peut être contestée. Lord Palmerston et lord Russell ont cependant commis des fautes graves. Depuis le commencement de cette crise, lord Palmerston a toujours qualifié avec hauteur les procédés des puissances allemandes, et a déclaré que le traité de 1852 ne serait pas abandonné. La vivacité du langage du premier ministre et l’abondance de lord Russell dans la controverse diplomatique ont très certainement encouragé le Danemark à une résistance opiniâtre, et ont été pour les Danois une sorte de promesse de secours. Une signification d’abandon, arrivant après de pareilles excitations, a quelque chose dont la générosité et l’honneur de l’Angleterre doivent positivement souffrir. La politique anglaise a ainsi irrité gratuitement les sentimens hostiles de l’Allemagne sans recueillir au moins le mérite d’un secours efficace donné à la juste cause d’un peuple faible. Lord Russell, en provoquant la réunion de la conférence, a fait preuve d’un zèle très chaleureux, mais s’est montré singulièrement imprévoyant. Chose curieuse, personne, l’année dernière, n’avait mieux vu que lui l’inutilité et le danger de la proposition de congrès faite par la France : il reprochait justement à cette proposition de n’avoir point de base, de mettre aux prises des intérêts dont il était inutile et dangereux de provoquer le conflit, si l’on ne s’était point assuré d’avance l’emploi des moyens de coercition. Pour le dire en passant, l’expérience de la conférence de Londres nous montre combien peu il y a lieu de regretter que la tentative du congrès ne se soit point réalisée. La conférence, qui n’avait à traiter que d’une seule question, n’a rien pu finir : que serait-il arrivé, si on se fût occupé à la fois de quatre questions au lieu d’une, et si on eût ajouté aux affaires du Danemark celles de la Pologne, de l’Italie et de la Roumanie ? Le congrès n’eût été qu’une Babel, et c’est nous au lieu de l’Angleterre qui aurions aujourd’hui la confusion d’un insuccès colossal. Pour revenir à lord Russell, ce qui est étrange, c’est qu’après nous avoir sauvés avec tant de perspicacité du mauvais pas du congrès, il ait lui-même fait si aveuglément le faux pas de la conférence. Il disait qu’il n’y avait pas de congrès possible sans bases, pas de congrès efficace sans moyens de coercition prévus d’avance, et il est entré dans une conférence réunie sans bases, et où personne ne voulait soutenir son opinion par des mesures actives. Une pareille inconséquence allait droit à un échec. Il est naturel que le ministère anglais, déjà si faible, ne survive point au ressentiment que l’Angleterre doit garder d’une déconvenue à laquelle elle a été imprudemment exposée.

Peut-être, en réfléchissant à la confusion et aux dangers de la politique actuelle de l’Europe, trouvera-t-on que le temps de l’impartialité historique est enfin arrivé pour les dix-huit années de gouvernement parlementaire qui ont formé le règne de Louis-Philippe. C’est ce qu’a pensé et senti