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salle Pleyel un public d’amateurs pour lui faire entendre des trios, des duos, des concertos peu connus du divin Mozart. On ne peut qu’encourager M. Saint-Saëns à reprendre l’année prochaine ces séances, où le pianiste a fait preuve d’un talent si solide.

J’ai quelques observations à faire à M. Pasdeloup, qui cette année a commis plus d’une faute. Et d’abord pourquoi admettre encore dans les programmes des concerts populaires le nom de M. Vieuxtemps, violoniste célèbre, qui n’est plus que l’ombre de lui-même ? Quant aux séances consacrées un jour à la musique de Beethoven et l’autre à celle de Mendelssohn, ce sont des innovations que M. Pasdeloup fera bien d’abandonner. Qu’il se garde aussi d’admettre dans ses programmes des morceaux de complaisance !

De toutes les fêtes musicales auxquelles j’ai assisté, la plus intéressante a été le concert de musique religieuse et classique qui a été donné dans la salle Herz. On sait qu’il existe depuis quelques années une société académique formée et dirigée par M. Vervoitte, maître de chapelle à l’église Saint-Roch. C’est une réunion d’amateurs et d’artistes que la société s’adjoint, et qu’elle rémunère avec l’argent d’une souscription annuelle et le produit de ses concerts. Le programme qui a été exécuté cette année par la société académique contient des morceaux qui remontent au XVIe siècle et au-delà. La séance s’est ouverte par un Te Domine, fragment d’un Te Deum de Jean Bononcini. Ce morceau, avec chœur, solos et orchestre, est une composition d’un beau caractère. Les soli ont été interprétés avec goût par Mlle M… Jean Bononcini, qui est né à Modène en 1672, fut un musicien fécond qui a touché à toutes les formes de l’art de son temps. Bononcini courut le monde. Il était à Vienne au temps de l’empereur Léopold, qui l’admit dans sa chapelle en qualité de violoncelliste ; ensuite il fut à Londres, où, à côté de Haendel, il passa quelques années brillantes, et où il publia une foule de compositions qui lui firent une grande réputation. En quittant Londres pour une cause peu honorable[1], il passa par Paris en 1740. Après de nombreuses vicissitudes que nous ne pouvons que mentionner, Bononcini est mort à Venise à l’âge de quatre-vingts ans. Bononcini, dont le nom est aussi inconnu, je pense, en Italie qu’en France, a été, l’un des compositeurs les plus féconds, les plus variés et les plus originaux de la première moitié du XVIIIe siècle.

Le second numéro du programme était rempli par un choral à quatre voix, sans accompagnement, Chant des frères moraves. Un Domine Deus salutis meæ, morceau fugué à quatre voix, avec solo et accompagnement d’orchestre de Michel Haydn, a succédé au choral. Ce morceau est d’un style plus religieux que les messes du maître illustre qui a créé la symphonie. Après un duo bien connu de l’abbé Clari, Cantando un di, — qui a été dit avec goût par Mme A… et par Mme Peudefer, on a exécuté avec un très grand ensemble un Libéra, chœur à quatre voix, avec soli et accompagnement d’orchestre de Jomelli.

Voilà un nom illustre certainement peu connu des artistes français, assez

  1. La vie de Bononcini est un roman des plus compliqués et des plus intéressans. D’un caractère inquiet où dominait une vanité presque ridicule, Bononcini dut quitter Londres parce qu’il s’était approprié un motet qu’on reconnut être l’œuvre de Lotti, maître vénitien d’une grande renommée.