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le sol ne laissant rien à désirer. La plaine d’El-Outaïa est entourée de montagnes qui la circonscrivent complètement, sauf une échancrure qui conduit dans le bassin du Hodna, dont le centre est occupé par un grand lac salé. Lorsque nous partîmes d’El-Outaïa le 21 novembre, au lever du soleil, le ciel était pur, l’air calme, la température à 10 degrés au-dessus de zéro. La fumée des bivacs arabes, dispersés dans la plaine, s’étendait horizontalement à une faible hauteur du sol, et formait une bande bleuâtre le long des montagnes qui nous séparaient du Sahara. L’échancrure qui mène dans le Hodna n’existait plus, la muraille qui entoure la plaine paraissait complète. Cependant bientôt, à notre grand étonnement, nous distinguâmes des trous dans les rochers du nord-ouest ; ces trous s’agrandissaient sans cesse et tendaient à se rejoindre ; les montagnes prenaient la forme d’arbres ou de pyramides renversées ; peu à peu les trous se confondirent, et des brèches apparurent ; ces brèches s’élargissaient à vue d’œil, les pans de rochers qui les séparaient s’évanouissaient l’un après l’autre. Enfin la chaîne de montagnes de ce côté disparut, l’ouverture qui conduit dans le Hodna était rétablie : nous avions été dupes d’un mirage latéral. L’image du sol plat de l’ouverture, réfléchie par une couche d’air raréfié, simulait une chaîne de montagnes terminée par une crête horizontale. Enfin nous arrivâmes au bout de cette plaine monotone, derrière laquelle le Sahara devait nous apparaître. Nous traversons un torrent dont les berges sont tapissées par les tiges rampantes de la coloquinte, et nous montons le col de Sfa en suivant la belle route tracée par l’armée française. Des plantes en fleur se balançaient çà et là sur les rochers ; nous avions mis pied à terre pour les cueillir. Arrivés au sommet, nous nous arrêtâmes : un grand arc de cercle s’étendait devant nous, limitant une surface violacée, unie comme la mer, et se confondant à l’horizon avec le ciel bleu : c’était le Sahara. L’arc s’appuyait à l’est contre la chaîne de l’Aurès, à l’ouest contre celle des Zibans, dont quelques ressauts, voisins de Biskra, surgissaient comme des écueils sur cette mer qui semblait avoir été figée dans un moment de calme. La mer réelle frissonne toujours à la surface ; un léger balancement imperceptible à la vue pousse vers le rivage le flot expirant bordé d’un liséré d’écume. Ici rien de semblable ; c’est une mer immobile, une mer pétrifiée, ou plutôt c’est le fond uni d’une mer dont les eaux ont disparu. La science nous l’enseigne, et, comme toujours, l’expression de la réalité est plus pittoresque, plus saisissante que toutes les comparaisons créées par l’imagination. À nos pieds, une plaine caillouteuse, ravinée, dont le bord relevé nous dérobait la vue de Biskra ; de longues caravanes noires dessinaient les sinuosités de la route et se