Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 52.djvu/337

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

soudaines profitèrent peu à la plupart de ceux à qui elles étaient échues. Éblouis par des richesses si subites et si inespérées, ils les dépensèrent aussi rapidement qu’ils les avaient acquises, comptant chaque jour sur des découvertes encore plus grandes. Il arrivait alors ce que nous avons vu se reproduire en Californie. Dans la fièvre des premiers jours, on s’inquiétait peu de l’avenir ; l’essentiel était d’arriver au plus vite pour avoir sa part de butin. Les vivres venant à manquer, le prix des denrées atteignit des proportions inouïes, et la récolte des mines passait aux mains de gens mieux avisés qui arrivaient avec des provisions. À Matto-Grosso, on vendit une bouteille de cachaça dix onces d’or, et un chat une demi-livre. À Goyaz, une vache laitière atteignit le prix de deux livres de pépites. À cette cherté excessive des choses de première nécessité vinrent se joindre tous les élémens de désordre qui naissent d’eux-mêmes au milieu d’une tumultueuse agglomération d’hommes dévorés par la soif des richesses et ne reconnaissant d’autre droit que celui du plus fort. Chose triste à dire, ce ne sont que pages funèbres, que sanglans épisodes qui forment les premières annales de ces colonies naissantes. La loi du désert : « la terre appartient au premier occupant, » était appliquée chaque jour avec la plus inexorable rigueur. La vie humaine semblait comptée pour rien chez ces natures sauvages, habituées dès l’enfance à traiter l’Indien et le nègre comme des bêtes de somme, et dont la vie n’était pour ainsi dire qu’une lutte continuelle contre tous les dangers et toutes les difficultés du désert. Tout étranger qui, attiré par le bruit des découvertes, s’avisait de venir chercher fortune dans une région occupée était appelé forastero (homme du dehors), s’il n’arrivait pas des plaines de Piratininga, et se voyait reçu la carabine à la main. Parfois il se trouvait que les forasteros formaient une bande assez forte et disposée à disputer le terrain. Une lutte armée ensanglantait alors le lieu où l’on se rencontrait, et plusieurs rivières, car c’est toujours en remontant les cours d’eau que se font les découvertes aurifères, témoins de ces combats, rappellent encore par leur nom lugubre, Rio das Mortes (rivière des morts), Matamata (tue, tue), le souvenir de ces sanglantes tragédies de la conquête. On sait que de pareilles haines, suivies aussi quelquefois de conflits, se sont élevées de nos jours entre les Chinois et les Américains du nord[1].

  1. Un simple rapprochement montrera combien l’activité humaine a gagné en élémens d’ordre et de stabilité depuis un siècle. Personne n’ignore que parmi les premiers mineurs californiens se trouvaient bon nombre de coureurs d’aventures dont la morale n’était guère plus sévère que celle des anciens mamelucos, et qui auraient pu le disputer avec eux d’audace et d’énergie. On se rappelle aussi les scènes de violence qui chaque jour ensanglantaient les placers, les incendies de San-Francisco et les assassinats commis en plein jour dans les rues de cette ville : chaque mineur ne reconnaissait d’autre juge que son revolver ; mais ce n’étaient là que les tiraillemens inévitables d’une agglomération confuse que le génie pratique de la race anglo-saxonne allait constituer en société régulière. En effet, dix ans après, des voyageurs qui parcouraient ces contrées qu’on leur avait dépeintes si dangereuses étaient émerveillés du calme et de la sécurité qu’ils trouvaient soit dans les villes, soit sur les routes, soit dans les montagnes. Le revolver avait fait place à la pioche, et à mesure que les sables s’appauvrissaient, les chercheurs d’or, par une transformation insensible de travail, devenaient agriculteurs ou industriels. On peut affirmer qu’il existe aujourd’hui autant d’ordre à San-Francisco, à Sydney, à Melbourne qu’à Londres et à New-York.