Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 52.djvu/364

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

loin de dater d’hier et de se présenter comme un phénomène isolé dans l’histoire, nous apparaît au contraire comme l’élément le plus ancien et le plus puissant qui soit jamais entré dans la trame de la civilisation. Les villes les plus florissantes de l’Asie-Mineure, de la Grèce, de l’Italie, du midi de la France et de l’Espagne, lui doivent probablement leur origine. Les descriptions que les anciens nous ont laissées sur les richesses de ces contrées permettent de conjecturer qu’il s’est passé à ces époques reculées ce que nous avons vu de nos jours. Les noms de Gold-Hill (colline de l’or), Silver-City (cité de l’argent), Villa-Rica (ville riche), Rio-vermelho (rivière vermeille), et tant d’autres révélant la nature du sol, seront peut-être retrouvés un jour, par les philologues dans la géographie des premiers âges de l’humanité. C’est presque toujours une troupe d’aventuriers ou de proscrits que l’on rencontre à l’origine des villes. Toutes celles qui furent ainsi fondées ne pouvaient prétendre aux mêmes destinées. Les unes, bâties au sommet des montagnes, devaient s’évanouir avec les sables aurifères qui étaient leur seule raison d’être ; d’autres, comme Rio-Janeiro, San-Francisco, Sydney, Melbourne, ont trouvé devant elles un port et une mer : celles-là ont grandi, et ne perdront jamais leur rang de capitales.

Le mouvement d’émigration vers les placers cessa peu à peu à mesure que les alluvions de l’ancien monde s’épuisèrent ; il ne devait reparaître qu’après plusieurs siècles d’interruption, lorsque la boussole conduisit Colomb au-delà de l’Atlantique. Depuis cette époque, on peut dire que la chaîne des temps est renouée et qu’elle se continuera désormais jusqu’à ce que la surface du.globe ait été fouillée dans tous les sens. Des villes s’élèveront encore, des déserts reculeront devant l’activité des chercheurs d’or. Ces résultats effacent bien des pages sanglantes du passé, et démontrent une fois de plus que de même que dans la nature une nouvelle vie ne se développe qu’au détriment de vies antérieures, de même ce n’est qu’au milieu de déchiremens et quelquefois de ruines que s’engendre le progrès des nations. Loin de nous cependant la pensée d’excuser les atrocités qui ont rendu si tristement célèbres les conquistadores dans les annales américaines ! Le cœur saigne au souvenir de tant de crimes, et l’on regrette parfois de ne pouvoir appliquer aux Brésiliens ce que le plus profond historien de l’antiquité disait des habitans de la Germanie : « Les dieux, j’hésite à dire si c’est bienveillance ou colère, leur ont refusé l’or et l’argent. » Argentum et aurum propitii an irati dii negaverint dubito.


Adolphe d’Assier.