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attaches. Il avait été bien accueilli, lors de son premier voyage à Paris, en 1771, par le dauphin et par ses frères ; il avait même contracté avec Monsieur, comte de Provence, une liaison qui fut durable ; mais il n’avait que médiocrement plu à Marie-Antoinette, et il y eut longtemps entre eux une sorte d’antipathie qui ne céda que devant les terribles circonstances de la fin de l’un et l’autre règne.

Si Gustave III courtisait avec tant de soin Versailles et Chante-loup, c’était afin de ne pas se trouver au dépourvu en face des changemens que pouvait amener parmi les alliés naturels de sa politique la force de l’opinion ; mais il n’oubliait pas que les hommes de lettres et les philosophes disposaient les premiers, à vrai dire, de cette nouvelle puissance, et qu’il fallait s’emparer d’eux pour détourner utilement le fleuve à sa source. Ses mesures étaient prises de longue main : il était en relations déjà anciennes soit avec les encyclopédistes, dont il s’était déclaré l’élève, soit avec les écrivains en renom, dont il aspirait à devenir le protecteur en titre. Immédiatement après son coup d’état, il en adressa une relation à Voltaire, qui, ayant déjà l’amitié de Frédéric, de Catherine, de Christian VII, et tenant beaucoup à conserver son « brelan de rois quatrième, » lui accusa réception par l’épître bien connue :

Jeune et digne héritier du grand nom de Gustavo, etc.


Il l’adressa par l’entremise du comte de Creutz avec ces lignes :


« Ferney, 16 septembre 1772. — Monsieur, voici ma réponse ; je l’avais faite longtemps avant de recevoir la relation que vous avez eu la bonté de m’envoyer. Mes vers n’ont pas été faits de génie, mais ils sont partis du cœur. C’est, ce me semble, à vingt-cinq ans que le génie des rois et des poètes est dans sa force ; à mon âge, on ne sait qu’admirer et balbutier. Pardonnez mon radotage en faveur de mes sentimens, et surtout en faveur du respectueux attachement avec lequel j’ai l’honneur d’être, monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur, VOLTAIRE[1]. »


Voltaire ne s’était donc pas fait prier ; il écrivait aux amis du roi de Suède que depuis longtemps il était chapeau, mais qu’à la nouvelle de la révolution l’enthousiasme lui avait complètement tourné la tète. Indépendamment du certificat poétique qu’il venait de délivrer à Gustave, il eut par hasard au même moment l’occasion de faire un éloge public et retentissant du coup d’état. Il avait présenté au théâtre une de ses dernières tragédies, les Lois de Minos, qu’il venait d’achever en huit jours ; elle n’en était pas meilleure

  1. Ce billet de Voltaire est conservé comme autographe dans le tome XXXV in-4o des papiers de Gustave III, à Upsal.