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leur sexe y était intéressée. Toutefois nous ne connaissons jusqu’à présent qu’un petit nombre de témoignages écrits de l’ardeur avec laquelle les femmes placées alors à la tête de la société française se mêlaient aux grandes questions politiques. — Mme Du Deffand, dont le dehors glacé recouvre un feu à peine éteint, a déjà sans doute de fortes expressions pour détester Frédéric II et Catherine, pour blâmer les adulations de Voltaire. Mlle de Lespinasse, amie de Turgot et de Malesherbes, invoque pour sa patrie les libertés de l’Angleterre et gémit avec larmes des abus qu’autorise l’incomplète et irrémédiable constitution de la France. Mme de Choiseul, dans ses lettres spirituelles et vives, montre enfin une ardeur généreuse. Voilà jusqu’à trois noms ; mais le groupe a été plus nombreux de ces femmes qui ont honoré la société française du XVIIIe siècle par leur dévouement à la liberté, au patriotisme, à tout ce que la philosophie de leur temps enseignait de meilleur. Telles furent certaines institutrices de Gustave III. Le roi de Suède trouvait son compte à encourager leurs efforts : leur esprit le charmait, leurs lettres lui apportaient avec d’utiles informations le retentissement de précieux hommages ; elles, de leur côté, comptaient former et donner au monde le prince idéal que leur temps avait rêvé.

Gustave III correspondait familièrement avec les comtesses d’Egmont, de La Marck, de Boufflers et de Brionne, avec Mme Feydeau de Mesmes, Mme de Luxembourg et Mme de Croy. De ces deux dernières on ne rencontre dans les papiers d’Upsal aucune lettre ; il y en a deux ou trois de Mme Feydeau de Mesmes, qui se confond, par une amitié tendre et une parfaite communauté de vues, avec Mme d’Egmont, et, de Mme de Brionne, une dizaine, qui, n’offrant rien de politique, attestent seulement quelle familiarité aimable présidait à ces lointaines relations. Nous savons pourtant que Mme de Brionne se mêlait ardemment aux factions intérieures d’alors. Femme du prince Louis de Lorraine, grand-écuyer de France, et parente de l’empereur Joseph II, qu’elle reçût pendant son voyage à Paris, en 1777, elle occupait un rang élevé à la cour, et s’était mise à la tête du parti de Choiseul. Ses qualités personnelles et sa beauté lui assuraient d’ailleurs une réelle puissance ; si le duc de Choiseul devait un jour revenir au pouvoir, Gustave III, envers qui elle professait une entière admiration, aurait par elle, nous le savons, un excellent appui auprès de ce ministre. — Les comtesses d’Egmont, de La Marck et de Boufflers n’étaient pas moins dévouées à Gustave ; c’est d’elles que les papiers d’Upsal nous ont conservé de longues et importantes missives. Chacune de ces grandes dames avait mis au service du roi de Suède son crédit dans les cercles les plus brillans ou auprès des familles les plus influentes de la société parisienne ; elles y pro-