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pageaient sa renommée, et l’estime qu’il savait leur inspirer pouvait devenir, grâce à leur propre mérite, aisément contagieuse. Mme d’Egmont était, comme on sait la fille du célèbre maréchal de Richelieu. Le maréchal fut marié trois fois, d’abord à quatorze ans, en 1710, puis, en 1734, avec la princesse Elisabeth de Lorraine, héritière des Guises et la troisième fois à quatre-vingt-quatre ans. Il eut de son second mariage un fils, le duc de Fronsac, et une fille, née le 1er mars 1740, qui devait être Mme d’Egmont. Privée de très bonne heure de sa mère, Sophie-Jeanne Septimanie de Richelieu fut élevée tendrement par la duchesse douairière d’Aiguillon. Son père, à travers l’extrême dissipation de sa vie brillante et corrompue, ne cessa de l’adorer. Elle figure à ses côtés au milieu des fêtes qu’il prodiguait dans son gouvernement de Guienne ; elle s’y était fait elle-même une sorte de royauté dont l’éclat s’étendait jusqu’à Paris et Versailles. On la retrouve, durant ses années de jeunesse, soit dans les magnifiques réjouissances que le riche Bordeaux du XVIIIe siècle multipliait et que Rulhière a décrites, soit dans ces galantes journées, arrangées par Favart, que la marquise de Moncontour offrait au vainqueur de Mahon ou bien au roi Stanislas à Bagatelle[1], partout enfin où la plus haute société de ce temps prodiguait sa suprême élégance. Après une infortune de cœur, dit-on, elle épousa à seize ans, le 10 février 1756, le plus grand seigneur des Pays-Bas, le comte d’Egmont : un grand surcroît d’illustration et de fortune vint s’ajouter ainsi pour elle à ce que lui donnait déjà sa haute naissance. Six mois à peine après ce mariage, la fameuse prise de Port-Mahon par son père jette sur elle une autre sorte d’éclat[2], et elle se trouve au moment de sa plus vive lumière. C’est alors qu’elle remporte facilement le prix de la beauté, comme parle Mme Du Deffand, lorsque, dans les bals de Mme de Mirepoix, elle préside avec le duc de Chartres à des danses de caractère, ou quand elle porte, à un grand couvert de Versailles, toutes les perles héréditaires de la maison d’Egmont. Comme toutes les nobles dames de son temps, elle avait admis dans sa familiarité les gens de lettres : Jean-Jacques Rousseau, qui lui lut en partie ses Confessions et admira combien elle en était émue ; Marmontel, qui la rencontrait aux dîners de Mme Geoffrin, et qui vante son prestige ; Rulhière, qu’elle encouragea constamment, qui écrivit en son honneur et lui garda un long souvenir.

Si l’on a recours aux portraits que les écrivains de son temps ont laissés de Mme d’Egmont, on se persuade, mais sans bien concilier

  1. Voyez la description de ces fêtes en 1756-59 dans trois volumes in-8o manuscrits à la Bibliothèque de l’Arsenal.
  2. Voyez le Journal de Barbier, 10 juillet 1756.