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adoptée autour d’elles par un grand nombre d’esprits attentifs. Cent fois on a discuté ces graves pensées en leur présence ; les gens de lettres, qu’elles admettaient dans leur conversation, en ont fait le sujet de nombreux écrits ; Mably fréquentait le salon de Mme d’Egmont, et nous savons qu’un jour, malgré les maîtres de la maison, il déchira de ses mains, regrettant’ d’en être l’auteur, le livre où il avait fait l’éloge de la royauté.

Gustave III reçut le mémoire de VIII d’Egmont et de Mme de Mesmes ; il paraît qu’il fit des objections, opposant aux nouvelles théories les excès du parlement d’Angleterre et la mort de Charles Ier. Mme de Mesmes se charge cette fois de reproduire seule, par une note assez étendue, où elle fait habilement sentir l’énorme différence des deux constitutions quant à l’autorité parlementaire. Avec une sûreté de raisonnement remarquable, elle affirme que le fanatisme, encore subsistant chez nos voisins au XVIe siècle, a seul pu causer de tels excès, et que la France de son temps est à l’abri d’un si grand fléau. Elle a raison sans doute : elle ne peut pas pressentir le cruel démenti qu’une autre sorte de fanatisme lui infligera vingt ans plus tard en France même, et on n’a pas le droit de l’accuser, elle ni sa digne compagne, quand elle s’élève encore contre le pouvoir absolu.


La cause du parlement n’est devenue générale, dit-elle, que parce qu’on a voulu lui faire enregistrer que la puissance royale est sans bornes. Un tel droit ne doit être celui d’aucun roi, et n’est pas assurément celui d’un roi de France. Tout Français à qui l’on eût porté cette déclaration pour la signer l’eût dû refuser, à plus forte raison un corps qui représente seul la nation, puisque son enregistrement donne la dernière sanction à la loi du souverain, et semble être l’aveu des sujets de s’y soumettre. C’est contre le despotisme érigé en maxime, c’est contre ces grands mots : « je ne tiens ma puissance que de Dieu, et rien sur la terre n’a le droit d’y apporter des limites, » que la nation s’est révoltée. Ce langage est fondé apparemment sur ce qu’il est dit dans l’Écriture que ce fut Dieu qui donna un roi aux Israélites ; mais l’Écriture ajoute que c’est dans sa colère que Dieu donna des rois aux nations. »


Telles étaient les leçons de politique libérale que Gustave III recevait de ses deux éloquentes amies. Leur enthousiasme n’y souffrait pas de ménagemens ni de sous-entendus équivoques :


« Sire, écrit bravement Mme d’Egmont, une chose m’afflige : ce sont les éloges que vous faites de notre roi. Si vous employez la politique avec moi, comment puis-je croire que vous me traitez avec l’amitié dont vous me flattez ? et si ce n’est pas politique, comment puis-je expliquer ce que vous me dites de sa bonté ? Ah ! la faiblesse seule l’arrête… Votre majesté m’accuse de ne pas aimer le roi. Hélas ! ce n’est pas ma faute, et le regret de ne pouvoir