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son affection était à ce prix. Si jamais il aspirait au despotisme, ou si, par quelque action contraire à l’honneur d’un prince, il ternissait le bel idéal qu’elle avait rêvé, elle cesserait de l’aimer. Ses lettres nous ont découvert un sentiment exalté, mais pur. Elle a offert au jeune roi le secours d’un langage sincère, qui ne dissimulerait jamais la vérité ; Gustave paraît avoir répondu d’abord par une passion égale. Il a écrit à la comtesse d’Egmont une lettre de douze pages le jour même de son couronnement, il a porté le lendemain un habit aux couleurs de la comtesse, lilas et blanc ; puis il semble s’être fatigué de ses conseils ou de ses remontrances. Elle s’en plaint avec tristesse et fierté ; la correspondance languit pendant l’année 1773, à la fin de laquelle (en octobre) Mme d’Egmont s’éteint, à peine âgée de trente-trois ans.


III

Par Mme de Brionne, Gustave III pouvait compter, avons-nous dit, sur le bon vouloir de Choiseul, s’il revenait aux affaires. Mme d’Egmont lui avait donné de familières intelligences parmi la plus haute noblesse, et s’était chargée de surveiller les intérêts suédois auprès de la cour d’Espagne, où son mari avait de l’influence. L’amitié de Mme de La Marck procura également au roi de Suède d’utiles ouvertures. Elle était de la famille de Noailles, puissante à la cour et en possession de toutes les charges qui rapprochaient le plus du roi. Le duc de Noailles et son frère, le comte, avaient été élevés auprès de Louis XV ; la comtesse était dame d’honneur de la dauphine Marie-Antoinette ; elle observait, ainsi que son mari, une sévère étiquette, rachetée par une parfaite bonté. La maison de Noailles avait en outre des relations avec le parti des dévots, destiné à prendre en main l’autorité, si Louis XV renvoyait un jour Mme Du Barry. Gustave III aurait ainsi encore de ce côté des attaches avec tout un monde influent et élevé.

Marie-Anne-Françoise de Noailles, comtesse de La Marck, à laquelle une place importante doit être réservée dans le groupe que nous essayons de reconstituer, est cependant fort peu connue : à peine est-elle nommée en passant dans les mémoires ou dans les correspondances publiés du XVIIIe siècle[1]. Née le 12 janvier 1719, elle était la quatrième fille du célèbre duc et maréchal Adrien-Maurice de Noailles, neveu chéri de Mme de Maintenon par son mariage,

  1. Il nous eût été impossible de restituer les dates principales de sa biographie, même avec le secours des deux grandes familles auxquelles elle appartient, sans l’aide obligeante d’un exact, et consciencieux scrutateur de nos diverses archives, M. Parent de Rosan.