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elle ne dissimule pas qu’elle considère Gustave III comme ayant pris en main toute la puissance. Il n’est pas vrai, affirme-t-elle dans sa lettre du 23 octobre 1772, que le pouvoir absolu soit le meilleur des gouvernemens entre les mains d’un prince accompli. « Le pouvoir absolu est une maladie mortelle qui, en corrompant insensiblement les qualités morales, finit par détruire les états. C’est une vérité que l’on trouve dans différens auteurs anciens, et que l’expérience de tous les siècles a confirmée. Et même un auteur moderne, à propos des beaux-arts, dit et démontre que, quand la liberté quitte un pays, la source des pensées sublimes et de la véritable gloire est tarie. » Mme de Boufflers veut bien reconnaître que Gustave III n’a pu agir autrement qu’il n’a fait, vu les circonstances ; elle espère du moins qu’une fois les anciennes factions déracinées, il restreindra lui-même une puissance dont ses successeurs abuseraient sans doute. Pour hâter cette heureuse conclusion, elle adresse au jeune roi de curieux conseils, passablement pédantesques, et qui forment tout un plan de direction morale et intellectuelle.


« Parvenu, sire, au point de gloire où vous êtes, j’ose vous avertir que toutes lectures ne vous sont pas également bonnes. Vous devez ne vous livrer qu’à celles qui sont capables de vous soutenir dans un noble enthousiasme, et bannir ces livres qui, défendant tour à tour des opinions opposées, font paraître la vertu arbitraire et en inspirent le dégoût. C’est le détestable emploi que notre siècle fait des lumières qu’il prétend avoir. Le moyen, lorsqu’on est parvenu à croire que toutes choses sont égales, de se résoudre à choisir la plus pénible ? C’est seulement la lecture des auteurs anciens quant à la morale et à l’histoire, celle aussi de plusieurs ouvrages du dernier siècle et de quelques autres, faits sur leur modèle, qui peut entretenir dans une âme élevée l’amour de la vraie gloire, dont vous suivez les nobles inspirations, et qui rendra votre pouvoir recommandable à la postérité… »


De même qu’elle entreprend de former au bon gouvernement le jeune roi de Suède, la comtesse de Boufflers se donne toute liberté de juger, en s’adressant à lui, les derniers actes du règne de Louis XV. Ici son langage devient sévère et digne. Ses lettres à Gustave III respirent, lorsqu’elles touchent à ces graves sujets de la constitution intérieure de la France et des abus qu’elle autorise, une ardeur patriotique assez analogue à celle de Mme d’Egmont, quoique moins pure sans doute et plus entachée d’humeur raisonneuse ; elle ressent de nobles indignations, et dans certaines rencontres elle les exprime fortement. Sans multiplier les citations à l’excès et avant de poursuivre jusque dans une autre période l’examen de la correspondance de Mme de Boufflers, il suffira de faire connaître ici une page importante, écrite par elle au lendemain de la mort de