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On se dit qu’il doit y en avoir un, qu’il y en a un, quand même on n’est nullement d’accord sur les livres dont il doit au juste se composer. En particulier, on cesse de discuter sur le chiffre de quatre évangiles, malgré la bonne opinion que Clément d’Alexandrie professe encore pour quelques autres. Ce chiffre quatre s’explique naturellement par le mérite supérieur des Évangiles de Matthieu, de Marc, de Luc et de Jean ; mais les pères ne se contentent pas d’une explication si simple, et l’un d’eux, Irénée, assure gravement qu’il doit y avoir quatre évangélistes, ni plus, ni moins, parce qu’il y a quatre points cardinaux dans le monde, quatre vents dans l’air, quatre chérubins dans Ézéchiel ! — Tertullien, de son côté, crée ici, comme sur d’autres points, une partie du vocabulaire théologique. Esprit étrange, indéfinissable, plein de contrastes, ce rude Africain, qui sait unir dans ses controverses passionnées je ne sais quelle verve exubérante, quasi rabelaisienne, à une âpreté qu’on dirait calviniste, parfois éloquent jusqu’au sublime, ailleurs trivial à vous dégoûter, mauvais philologue et grand forgeur de mots, jurisconsulte et illuminé, Tertullien aime à transporter dans la théologie les termes du barreau. C’est ainsi qu’il appellera les Écritures juives et chrétiennes, des instrumens, instrumenta, du mot latin qui signifie en jurisprudence dossier de pièces justificatives, document faisant preuve officielle. Puis, comprenant mal le sens symbolique du mot grec qui veut dire alliance (διαήχη), il le traduit avec son sens juridique de Testament, de telle sorte que pour lui les deux recueils de livres sacrés forment le totum instrumentum utriusque Testamenti, l’instrument complet de l’un et l’autre Testament. Ce dernier mot est resté.


III

Nous marchons désormais vers une fixation qui est dans les vœux et dans l’esprit de l’époque ; mais cette marche a encore ses hésitations et ses lenteurs. Les incertitudes du second siècle se retrouvent chez le grand théologien Origène, mort en 254, l’un des très rares docteurs chrétiens d’alors qui crurent nécessaire d’apprendre l’hébreu pour lire l’Ancien Testament en connaissance de cause. Elles doivent se prolonger jusque dans le IVe siècle, même après le concile de Nicée (325), à qui l’on attribue souvent à tort la fixation du canon. Eusèbe de Césarée, le premier grand historien de l’église, s’est surtout occupé, dans le cours de son récit, de suivre à la trace les destinées des écrits apostoliques ou du moins remontant à l’époque primitive. L’empereur Constantin l’a même chargé, vers l’an 532, de faire copier cinquante exemplaires de la Bible par d’habiles