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C’est à Jérôme et à Augustin que ce succès sera dû. Le premier néanmoins était trop savant pour ne pas avouer que les apocryphes de l’Ancien Testament étaient inconnus des anciens Juifs, que l’origine paulinienne de l’épître aux Hébreux est douteuse, et plus douteuse encore l’authenticité de la seconde de Pierre ; mais il se décidait toujours en dernier lieu pour l’opinion de la pluralité des évêques, en d’autres termes pour les faits accomplis. C’est à lui aussi que le mot apocryphe, qui chez les Grecs désignait simplement les livres qu’on ne jugeait pas à propos de lire publiquement, qu’on mettait à part, sans qu’on entendît par là en condamner le contenu, doit d’être devenu synonyme de non canonique. Quant à son illustre ami Augustin, ce fut lui qui fit décider officiellement la question en 397 par un concile de Carthage, dont le canon, en ce qui touche le Nouveau Testament, ne diffère de ceux de nos jours que parce qu’il attribue l’épître aux Hébreux à saint Paul, sans le ranger dans la masse globale des épîtres pauliniennes. Depuis lors, aucun changement notable n’a lieu en Occident. Les décrets des papes Innocent II (405) et Gélase Ier (492-496) ne font que sanctionner l’état de choses fixé à Carthage. Une critique minutieuse pourrait sans doute relever encore chez eux et chez les écrivains grecs et latins du moyen âge une foule de curieux détails qui prouvent tout au moins qu’on n’attachait pas une importance de premier ordre à se conformer en tous points au canon officiel. Ainsi les manuscrits du moyen âge dénotent qu’une grande incertitude régnait encore dans les cloîtres au sujet de l’épître aux Hébreux. Du reste, pendant toute cette période, la Bible fut si peu lue, les hommes religieux éprouvaient si peu le besoin de joindre à la parole vivante du clergé le témoignage écrit des temps primitifs, que les écarts individuels en fait de canon étaient sans aucune importance pratique, et par conséquent purent être ignorés ou tolérés.

Ce fut le temps des grandes œuvres dogmatiques, de la foi robuste cherchant à se comprendre, mais ne s’étonnant jamais d’elle-même ; ce ne fut pas celui de la critique. Il ne faut jamais tirer des conséquences trop absolues des écarts que se permit souvent alors le sens individuel à l’ombre de l’unité extérieure de la croyance et du culte. Il y a souvent bien plus d’innocence que de malice dans les grosses hérésies qu’on est tout surpris de rencontrer parfois sous la plume des écrivains religieux les plus autorisés de cette étrange époque ; ce n’est qu’avec la renaissance que la question changea d’aspect, et, bien qu’en 1439 le pape Eugène IV eût publié une bulle énumérant les livres canoniques, le savant cardinal Cajetan et le non moins savant Érasme énoncèrent alors, sous les formes d’une soumission respectueuse, des doutes formels sur la