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s’arrêter à un assez maigre scepticisme. Malgré ces défaillances et ces dissidences passagères, elle n’en obéit pas moins en général à un esprit commun ; elle a un dogme fondamental sur lequel elle n’a jamais varié, et qui est la vraie conquête scientifique de cette école : c’est que la psychologie est distincte de la physiologie, et qu’elle est la base de toutes les sciences philosophiques.

Bientôt cependant, il faut le reconnaître, l’esprit de recherche et de libre investigation, le goût des découvertes philosophiques, cédèrent la place à un autre goût, à une autre ardeur, à une autre ambition, et, comme il est difficile de faire deux choses à la fois, on abandonna, au moins provisoirement, l’entreprise ébauchée d’une philosophie nouvelle, et l’on poursuivit un autre objet, l’histoire et la critique des systèmes de philosophie. Les grandes écoles furent d’abord mises en lumière. L’antiquité fut fouillée avec un sens critique, une connaissance des textes, un génie d’interprétation que la France n’avait pas l’habitude de porter dans ces sortes de recherches. De grandes traductions et de savans commentaires rendirent accessibles à toutes les intelligences cultivées les maîtres les plus illustres et les plus profonds de la philosophie. Platon, Aristote, Plotin, Abailard, Spinoza, Kant, furent l’objet des plus beaux travaux. On a beaucoup critiqué cette prédominance de l’esprit historique, et l’on a dit que l’école spiritualiste, en se consumant à découvrir ce que l’on avait pensé avant elle, oubliait un peu de penser pour son propre compte. Cette accusation n’est pas absolument sans vérité ; mais le bon sens répond avec autorité qu’en se consacrant à cette œuvre plus modeste que brillante on aura peut-être mieux servi la science qu’en inventant de fragiles hypothèses, qu’il est de toute nécessité pour une science de connaître sa propre histoire, que cela est nécessaire surtout en philosophie, où chaque système, en détrônant les systèmes précédens, confond dans une même ruine et le vrai et le faux, — que, s’il est bon de découvrir des vérités nouvelles, il ne faut pas cependant perdre les vérités déjà découvertes, — que l’histoire de la philosophie, en rendant très difficile la construction d’un nouveau système, met par là un frein à la témérité de l’esprit métaphysique, — qu’enfin les systèmes philosophiques ne sont pas de pures fantaisies, qu’ils ont leurs raisons d’être dans l’esprit humain, leur filiation naturelle, leurs conflits nécessaires, soumis à des lois, et que l’étude et la découverte de ces lois sont de la plus haute importance pour l’histoire de l’humanité et de la civilisation. En voilà sans doute assez pour justifier l’histoire de la philosophie, et d’aussi sérieux résultats méritent bien que l’on ait consacré une trentaine d’années à les obtenir.

Mais comme les meilleures choses ont leurs inconvéniens, l’étude