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juvénilité bien superficielle. Il faut passer à quelques objections plus particulières, car leur donner à toutes le développement qu’elles mériteraient, ce serait faire un traité complet de philosophie. On est donc obligé de se borner à l’essentiel.

M. Taine combat la théorie de la perception extérieure dans Royer-Collard, la théorie de la raison dans M. Cousin, la théorie de la volonté libre dans Maine de Biran, la théorie de l’ordre moral dans Jouffroy. Je ne lui en veux point d’avoir critiqué ces diverses théories, qui peuvent laisser à désirer ; je lui en veux de la manière dont il les critique. Je concevrais aisément une critique qui, accordant ce qu’il y a de vrai dans ces théories, essaierait d’aller plus loin, de voir plus clair, de préciser davantage, en un mot une critique qui aurait pour but de marcher en avant et non de rétrograder. M. Taine a employé une méthode plus facile et plus expéditive, mais aussi tout à fait stérile. Se fiant sur l’ignorance du public, il a repris simplement toutes les thèses de l’école condillacienne, telles qu’on les exposait il y a quarante ans ; il a supposé que les doctrines qu’on leur a substituées sont absolument fausses, qu’elles sont vides de sens et qu’il n’en doit rien rester dans la science. Alors voici mon doute, et où je cesse de comprendre. Si les doctrines spiritualistes sont si fausses, et les doctrines condillaciennes si vraies, pourquoi donc celles-ci ont-elles succombé ? Pourquoi s’en est-on lassé pour se jeter dans le vide des idées platoniciennes ? Comment a-t-on renoncé à ce qui était si clair, si évident, si démontré ? Vous expliquez cela par la réaction monarchique et religieuse de la restauration ; mais avec ces procédés d’interprétation ne pourra-t-on pas expliquer le succès actuel de vos idées par une recrudescence du mouvement athée et révolutionnaire ? Vous nous renvoyez à la réaction, on vous renverra à la démagogie ; nous voilà bien avancés ! Allez au fond des choses et reconnaissez que si les idées de Condillac ont succombé, c’est qu’elles étaient insuffisantes. Nous vous accorderons, si vous voulez, que les nôtres le sont également, car qui prétend posséder la science absolue ? Mais, au nom du ciel, ne nous ramenez pas en arrière sous prétexte de progrès ; que la philosophie ne donne pas ce triste spectacle de revenir sans cesse sur ses pas et de ne se mouvoir qu’en cercle !

Voyez par exemple : vous critiquez la théorie de la perception extérieure des Écossais, et il y aurait en effet bien des choses à dire à ce sujet ; mais tout ce que vous imaginez, c’est de reprendre la théorie des idées-images, théorie aussi vaine qu’inutile. Et quel est votre argument ? C’est que dans la mémoire et l’imagination les idées sont de véritables images des objets absens ; vous en concluez qu’elles sont également des images, quand les objets sont présens.