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ne repose que sur notre ignorance. Partout où les causes nous échappent, elle arrive pour introduire autant d’entités diverses qu’il y a d’inconnues. Ne trouvant pas de passage expérimental de la matière brute à la vie, la voilà qui invente un être qu’elle appelle force vitale ; ne pouvant expliquer la pensée, elle invente une force spirituelle qu’elle appelle âme ; ne pouvant expliquer toutes les causes de nos actions, elle suppose le libre arbitre ; ne saisissant pas le lien intérieur par lequel tous les phénomènes de la nature se rattachent nécessairement les uns aux autres, elle détache cette force, par abstraction, de la nature elle-même, et elle l’appelle Dieu. Ainsi chacune des affirmations spiritualistes n’est qu’un aveu d’ignorance, ce sont des noms donnés à toutes les inconnues que nous présente le problème de la nature. Les spiritualistes ne voient pas qu’ils prennent l’énoncé même de ce problème pour une solution. Sans doute il y a des inconnues dans la nature ; mais ces inconnues ne cesseront pas d’être des inconnues, lorsque vous les aurez appelées force vitale, âme, libre arbitre, cause première. Ce ne sont là que des noms qui laissent les phénomènes aussi inexpliqués qu’auparavant.

Je fais observer que cette objection n’est très forte que si l’on commence par supposer a priori que tous les phénomènes de la nature sont produits par une force unique et s’expliquent nécessairement les uns par les autres ; mais veuillez, je vous prie, supposer un instant, ce qui n’a sans doute rien d’absurde ni de contradictoire, qu’il y a dans la nature des forces distinctes, d’ordre différent et inégal : quel autre moyen avons-nous d’en constater l’existence que d’observer la différence des phénomènes qui les manifestent « et là où ces phénomènes paraîtront irréductibles, d’affirmer la séparation irréductible des causes ? La réduction de toutes les lois de la nature à une loi unique, de tous les agens à un agent unique, est déclarée par Auguste Comte lui-même une hypothèse chimérique et antiscientifique. Pourquoi prendrions-nous comme accordée une hypothèse aussi arbitraire, et parce que sur deux ou trois points on a trouvé moyen de réduire et de simplifier les causes, pourquoi affirmerions-nous d’une manière absolue qu’il en est ainsi à tous les degrés de l’échelle de la nature ? Soit, dira-t-on ; mais reconnaissez alors que vos séparations, vos distinctions sont purement provisoires, qu’elles ne présentent que des hypothèses proportionnées au nombre des faits observés, et soyez tout prêts, devant telle ou telle expérience contradictoire, à renoncer à vos hypothèses. Sans aucun doute, répondrai-je, nous y sommes prêts. Par exemple, le jour où la science trouvera moyen de démontrer la génération spontanée, nous nous inclinerons devant