Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 52.djvu/511

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que les conséquences de la crise danoise doivent affecter la France plus qu’aucune autre puissance. Quelques-unes de ces conséquences et la façon dont elles nous touchent sont visibles dès à présent. L’échec de la conférence a fait voir avant tout l’incertitude de nos alliances. De toutes parts on nous adresse des complimens ; mais nous n’agissons avec personne, et personne à l’heure qu’il est ne semble disposé à agir avec nous. Tandis que nous demeurons dans cette solitude adulée où nous semblons nous complaire, d’autres s’unissent et se fortifient par le succès dans des entreprises que nous n’avons point combattues, mais que nous avons blâmées. L’union de l’Allemagne, ce miracle que nous regardions comme impossible, s’accomplit sous nos yeux par les moyens les plus singuliers ; l’union de l’Allemagne, toutes les fois qu’elle s’est réalisée, a été un grave souci pour la politique française : pouvons-nous aujourd’hui la contempler d’un esprit entièrement dégagé d’inquiétudes ? Si l’Allemagne est unie, ses deux plus puissans états, la Prusse et l’Autriche, sont liés à la Russie, et l’on n’avait pas besoin du fracas des fausses dépêches publiées par le Morning Post pour se douter que l’alliance du Nord était en train de se reconstituer. Au point de vue de l’équilibre des forces, l’union de l’Allemagne et le rapprochement des trois états du Nord produisent dès à présent en Europe un changement remarquable : la victoire remportée dans l’affaire du Danemark, en face de l’inaction tapageuse de l’Angleterre et de l’inaction silencieuse de la France, par la nouvelle prépondérance de forces qui vient de se manifester, excite déjà un certain malaise dans les états faibles et mal assis. Au point de vue des idées, cette prépondérance n’est pas plus rassurante : les politiques qui ont surpris la faveur du parti populaire en Allemagne, les promoteurs de la nouvelle union germanique sont les adversaires déclarés des idées libérales et démocratiques ; l’homme du jour, M. de Bismark, a mainte fois avoué avec sa franchise hardie que ce qu’il poursuivait surtout dans les Danois, c’était ce libéralisme et cette démocratie qui, au témoignage du dernier roi de Danemark, rendaient ce brave peuple digne des institutions républicaines. Déjà le premier effet de la victoire germanique a été en Danemark le renversement des hommes d’état libéraux et l’avènement au pouvoir du parti aristocratique. Ce malheureux Danemark, abandonné de ses alliés naturels, est obligé de se rendre à discrétion à ses ennemis. On dit que son roi propose à la Prusse l’entrée de son royaume tout entier dans la confédération germanique. La France, encore privée de ses frontières naturelles, peut-elle, quand les Prussiens sont encore à Sarrelouis, entendre parler sans frissonner de la seule hypothèse d’un tel agrandissement de la confédération germanique ? Nous ne sommes point des pessimistes, nous nous défendons de toute exagération, nous n’aimons pas la politique conjecturale ; cependant, nous le demandons aux hommes d’état les plus froids, les plus positifs, les plus sensés parmi nous, n’est-il pas vrai que le jour où le Danemark a été définitivement sacrifié, une