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avait dit aux envoyés russe et anglais que les instructions de l’empereur étaient qu’il ne prît part à aucune négociation à Copenhague, et qu’il déclarât nettement au gouvernement danois que, s’il s’engageait dans une guerre avec l’Allemagne, la France ne viendrait pas à son secours. Le cabinet anglais savait donc dès le mois de décembre, dit M. Disraeli, que la France ne ferait pas la guerre pour le Danemark. S’il eût conservé encore quelque doute à cet égard, ses dernières illusions n’auraient pas dû survivre aux réponses que le gouvernement français donna en janvier à ses instances. Quand, au mois de janvier, l’Autriche et la Prusse annoncèrent l’intention d’occuper le Slesvig, lord Russell écrivit en toute hâte à Paris pour proposer d’inviter les puissances allemandes à surseoir à leurs mesures coercitives et de soumettre la question dano-allemande à une conférence. M. Drouyn de Lhuys répond, comme il faisait en septembre 1863, que l’expérience toute fraîche de ce qui s’est passé à propos de la Pologne lui a montré ce qu’il advient d’invitations qui ne sont suivies de rien, et qu’il ne veut point s’attirer deux fois une réplique dans le goût de celle du prince Gortchakof, qu’on a subie avec indifférence. Lord Russell ne se rebute point ; il écrit le lendemain à lord Cowley de proposer le concert et une coopération avec la France pour maintenir le traité de 1852 et prévenir l’occupation du Slesvig. Le gouvernement français fait le dur d’oreille et demande ce qu’on veut dire par ce concert et cette coopération. Lord Russell écrit le 24 janvier : — Il s’agit, si c’est nécessaire, de donner une assistance matérielle au Danemark. — Le grand mot est enfin lâché. C’est au tour du ministre français de s’expliquer, et il le fait avec une grande franchise, en des paroles que reproduisit peu de temps après une de ses circulaires. « La France reconnaît la valeur du traité de 1852 au point de vue de la conservation de l’équilibre ; mais tout en appréciant l’objet et l’importance de ce traité, le gouvernement français admet que les circonstances peuvent en rendre la modification nécessaire. L’empereur a toujours été disposé à tenir grand compte des aspirations et des sentimens des nationalités. On ne peut nier que les aspirations de l’Allemagne tendent à une union plus étroite avec les populations germaniques du Holstein et du Slesvig. L’empereur répugne à une politique qui l’obligerait à s’opposer par les armes aux vœux de l’Allemagne. La tâche de l’Angleterre serait aisée dans une telle guerre, qui n’irait pas pour elle au-delà de quelques opérations maritimes. Le Slesvig est bien loin de l’Angleterre. Le sol de l’Allemagne touche le sol français, et une guerre avec l’Allemagne serait une des entreprises les plus lourdes et les plus hasardeuses où la France pût s’engager. D’ailleurs l’empereur ne peut oublier qu’on a voulu le rendre suspect à l’Europe avec les projets d’agrandissement vers le Rhin qui lui ont été attribués. Une guerre commencée sur la frontière allemande donnerait une grande force à des imputations qui sont aujourd’hui sans fondement. Pour tous ces motifs, le gouvernement de l’empereur