Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 52.djvu/55

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

terre devint impossible, il mit ce bateau à flot, congédia la plupart de ses hommes, en ne conservant qu’une demi-douzaine de compagnons, et s’abandonna à l’aventure au cours de la rivière sans savoir où il serait conduit. Le pays, généralement nu et desséché, n’offrant aucune ressource aux voyageurs, ils n’avaient d’autre nourriture que la farine qu’ils avaient emportée avec eux. Le Murrumbidgee était d’ailleurs d’une allure capricieuse. Parfois resserré dans des gorges profondes où le soleil pénétrait à peine, le chenal était encombré d’arbres et de rochers où le bateau courait risque de s’entr’ouvrir ; parfois aussi le lit de la rivière se relevait, les rives se rapprochaient en donnant naissance à de dangereux rapides. Sept jours après son départ, l’expédition débouchait dans un beau fleuve, la Murray, comparable par la largeur et la masse de ses eaux à nos grands fleuves d’Europe. Cette découverte rendait déjà moins probable l’hypothèse d’une mer intérieure. Un cours d’eau si puissant avait évidemment pour affluens (le fait a été confirmé depuis) toutes les petites rivières qui découlent du haut des Montagnes-Bleues et en rassemblait les eaux dans son lit. Le capitaine Sturt, continuant son voyage, descendit la Murray pendant trente-trois jours, jusqu’à ce que, les rives du fleuve s’écartant de part et d’autre, il se vit sur un grand lac légèrement saumâtre. Dans le lointain, on entendait rouler les vagues du Grand-Océan. C’est le lac Alexandrina, qui n’est en effet séparé du Pacifique que par une barre de sable. Sturt avait coupé en triangle le coin sud-oriental du continent. Il apercevait sur les rives de verts pâturages et des terres admirablement disposées pour la culture des céréales, culture qui faisait défaut aux environs de Sydney et dans toute la Nouvelle-Galles du Sud, car les colons faisaient venir de la Nouvelle-Zélande et de la Terre de Van-Diémen le blé et les pommes de terre nécessaires à leur alimentation. Après un rapide examen des richesses promises par cette nouvelle province, Sturt entreprit en toute hâte son voyage de retour ; ses provisions s’épuisaient, et ce ne fut pas sans d’énormes fatigues et de dures privations qu’il lui fut possible de remonter à la rame le courant qu’il avait descendu en venant et de rentrer à Sydney.

Les plaines fertiles qui s’étendent aux environs du Golfe-Spencer et de l’embouchure de la Murray furent bientôt occupées par les Européens, et ainsi se forma la colonie de l’Australie-Méridionale (capitale Adélaïde), qui fournit aujourd’hui aux provinces voisines d’énormes quantités de vin et de céréales. Les Anglais et les Allemands y vinrent directement d’Europe ; les colons des Montagnes-Bleues y firent descendre leurs troupeaux, le long des rivières, par la route que Sturt leur avait ouverte. Il est à remarquer que sur