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arrivé à Moscou et est descendu dans le palais du marquis de La Chétardie. Le major de Dieskau, son ami, l’y avait précédé la veille. C’est ce même Dieskau, déjà envoyé par lui à Saint-Pétersbourg il y a quelques années pour soutenir ses prétentions en Courlande, et dont la mission avait échoué. Plus on était persuadé que le résultat ne serait pas meilleur cette fois, moins on s’attendait à voir paraître le comte en personne. Cependant, le bruit de son arrivée prochaine s’étant répandu à la cour, des paris s’étaient engagés pour et contre : il viendra ! il ne viendra pas ! On pariait encore, et chaudement, quand déjà le comte de Saxe, au débotté, était en gala chez le marquis. » Tel est le résumé d’une dépêche de Pezold au roi de Pologne. Ce soir-là même en effet, La Chétardie avait donné à son hôte un souper magnifique ; il y avait réuni quelques-uns des personnages les plus considérables de la cour, Lestocq d’abord, son frère le baron de Mardefeld, M. de Buchwald, ministre du Holstein, le prince Kourakin, grand-écuyer de la tsarine, enfin tous les membres de la légation saxonne. Le souper se prolongea jusqu’à trois heures du matin, au bruit des verres entre-choqués et des conversations joyeuses. Le lendemain, à onze heures, Maurice fut présenté à la tsarine par le grand-maréchal Bestuchef ; Elisabeth lui fit le plus gracieux accueil, et le soir, au bal masqué de la cour, elle voulut danser la seconde contredanse avec lui. Les prévenances de la tsarine pour Maurice étaient l’objet de tous les commentaires. « Autant on a été surpris de son arrivée, écrit Pezold au comte de Brühl, autant on est impatient à cette heure de connaître le véritable motif de son voyage. » Le 13 juin, La Chétardie donne un grand dîner en l’honneur de Maurice ; la tsarine y vient en habits d’homme, au retour d’une promenade à cheval, et assiste à la fête pendant une grande partie de la soirée. Bals et festins se succèdent ainsi tous les jours, toutes les nuits, et, quand Maurice est libre, Elisabeth fait déployer à ses yeux toutes les splendeurs de Moscou. Le 18, le chambellan Voronzof lui offre un déjeuner à la russe, qui ne dure pas moins de neuf heures, après quoi les convives montent à cheval pour accompagner la tsarine, qui galopait en costume d’amazone à travers les rues illuminées de la vieille cité moscovite. Une pluie torrentielle ne réussit pas à disperser le cortège ; dans ces fêtes tartares, on brave les élémens. Personne n’a de manteaux ; qu’importe ? à minuit seulement, l’orage ayant redoublé de violence, la compagnie trempée jusqu’aux os va s’abriter un instant sous les voûtes du Kremlin, où la tsarine montre elle-même à Maurice tout l’appareil du couronnement, diadème, sceptre, brillans, trésors sans nombre étalés dans la grande salle. Puis on se remet en selle, et tous les cavaliers escortant la souveraine se rendent au