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Bavière. M. le comte de Saxe est lieutenant-général plus ancien que M. le duc d’Harcourt. Sur la nouvelle de son arrivée, M. d’Harcourt dépêcha un courrier ici pour savoir ce qu’il devait faire, croyant devoir représenter que, depuis les lettres de service de M. le comte de Saxe pour l’armée de Bavière qui sont entre les mains de M. le maréchal de Broglie, les circonstances pouvaient être changées, que M. le comte de Saxe était étranger, d’une autre religion, et frère (bâtard) d’un prince (le roi de Pologne) dont il se pouvait faire que nous ne fussions pas longtemps amis, — demandant sur cela s’il devait lui remettre le commandement et lui confier tous les secrets importans dont il était chargé. J’ai vu la lettre de M. d’Harcourt écrite à M. le cardinal. On lui a marqué de remettre tout à M. le comte de Saxe[1]. » Ces défiances du duc d’Harcourt font pressentir les tracasseries que Maurice aura bientôt à subir. Les jalousies militaires, si vives et si puériles à cette époque, sont envenimées à son égard par les circonstances qu’on vient de voir : Maurice n’est pas Français ; Maurice est le frère d’un roi qui demain peut-être se tournera contre nous ; Maurice est luthérien ! Il est vrai que le marquis de Breteuil, ministre de la guerre, lui donnait à ce moment-là même le commandement d’un corps d’armée et l’initiait à un secret important que le duc d’Harcourt ne élevait pas connaître[2].


« Versailles, le 1er août 1742.

« Je commence notre correspondance, monsieur, en vous donnant la plus grande marque de confiance, puisque je vous annonce un secret ignoré encore de tout le monde, et que je vous prie d’ignorer vous-même jusqu’à ce qu’il soit temps de le rendre public, ce dont j’aurai l’honneur de vous informer.

« Le roi a pris la résolution de faire passer incontinent en Allemagne l’armée que commande M. le maréchal de Maillebois pour aller au secours de M. le maréchal de Broglie et des troupes qui sont bloquées sous Prague, pendant que vous y marcherez d’un autre côté. Je compte que M. le maréchal de Maillebois partira vers le 10 de ce mois de Dusseldorf, et arrivera du 10 au 15 septembre sous Égra. Il sera question de voir les moyens de vous faire joindre alors sous Amberg avec les troupes que vous commandez ; en sorte que le prince Charles ait contre lui tout à la fois des forces considérables de tous les côtés, qui opèrent une assez puissante diversion pour le faire retirer et l’entamer… Vous jugez bien que le secret pour l’exécution de ce projet, qui est inconnu de M. le duc d’Harcourt, et auquel je vous prie de ne pas le confier, non plus qu’à nul autre, est de la

  1. Mémoires du duc de Luynes, tome IV, page 202 ; Paris 1861.
  2. Lettres et Mémoires choisis parmi les papiers originaux du maréchal de Saxe, 5 volumes, Paris 1794 ; tome Ier, pages 31-34.