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voyageur se mit en route avec une escorte de douze hommes » onze Européens et un indigène. Six mois après, l’Albion, qui stationnait au cap York, recueillit ce dernier, nu, couvert de blessures, mourant de faim, — Depuis quatorze jours, disait-il, il n’avait pas trouvé une goutte d’eau. Après avoir repris des forces, il put raconter que l’expédition, entravée dans sa marche par d’épais buissons, avait dû s’ouvrir une route à coups de hache. Les provisions étaient insuffisantes ; bientôt il fallut manger les chevaux. Cette dernière ressource épuisée, il y avait encore 400 kilomètres à faire pour arriver au but du voyage. La plupart des hommes, dévorés par la fièvre, privés d’une nourriture fortifiante, s’arrêtèrent au bord de la mer, tandis que le chef, accompagné du noir et des trois Européens les plus valides, continuait son chemin. Peu de jours après, l’un d’eux est blessé par l’explosion d’un fusil, et reste encore en arrière avec deux de ses compagnons. Kennedy s’avance seul avec le noir ; ils font la rencontre d’une tribu d’indigènes qui les crible de flèches. À eux deux, ils mettent tous ces ennemis en fuite, grâce au prodigieux effet de terreur que produisent les armes à feu ; mais Kennedy, blessé à mort, expire bientôt, et le pauvre noir, à force d’errer au hasard, put enfin se trouver au rendez-vous où l’Albion attendait toute la troupe. Le capitaine de ce bâtiment revint aussitôt le long de la côte pour sauver, s’il était possible, les hommes qui étaient restés en arrière. Deux d’entre eux furent retrouvés en vie, gisant au milieu des cadavres de leurs camarades, qu’ils n’avaient pas eu la force d’enterrer. Ils n’avaient depuis longtemps d’autre nourriture que les coquillages qu’ils ramassaient sur le rivage. Quant au corps de M. Kennedy et aux papiers où ce voyageur avait sans doute consigné ses observations, il fut impossible de les découvrir. Soit par souvenir de cette fatale expédition, ou par impossibilité réelle de pénétrer à travers les broussailles qui recouvrent le sol, la péninsule d’York est encore inconnue et vierge de tout établissement européen.

Ce désastre ne fut malheureusement pas le seul indice des périls que couraient les aventureux explorateurs de l’Australie. Au moment où Kennedy s’éloignait vers le nord, le docteur Leichhardt se proposait de traverser le continent dans sa plus grande longueur, entre les 27e et 32e degrés de latitude. Parti de la baie Moreton, où prospérait déjà la ville de Brisbane, il serait passé au nord du lac Torrens, et serait venu aboutir à Perth, sur la côte occidentale. L’entreprise était, on peut le dire, téméraire ; maintenant encore on serait tenté de la croire impraticable. Leichhardt se mit en route dans les premiers mois de 1848, et depuis cette époque on n’a eu aucune nouvelle de lui ni de ses compagnons. Un des chevaux qu’il avait emmenés est arrivé, dit-on, à Adélaïde plusieurs années après. Un