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venue, que le vieux maréchal de Broglie perdit son commandement. On l’avait maintenu au moment de ses plus grandes fautes ; il fut destitué pour avoir fait son devoir. C’est alors que Maurice, placé sous le maréchal de Noailles et chargé de couvrir nos frontières après la malheureuse journée de Dettingen, écrivait à son frère le roi de Pologne :


« Spire, 25 juillet 1743.

«… On m’a donné le commandement d’une armée dans l’Alsace. Pour un Allemand et pour un luthérien surtout, ce n’est pas peu de chose. Que Dieu me tire bien de ceci, et je lui promets une belle chandelle ! M. de Noailles avec son armée est destiné à suivre les Anglais, s’ils se portent vers Luxembourg. Son armée est plus forte et meilleure que la mienne. Il ne m’a donné que les épluchures de la sienne et m’a pris ce qu’il y avait de meilleur dans celle de Bavière ; mais celui qui fait les parts fait ordinairement la sienne bonne… »


On aurait tort de voir la moindre amertume dans ces paroles ; le maréchal de Noailles avait une sincère affection pour Maurice, il se réjouissait de ses victoires, il l’appelait son enfant, et Maurice a toujours répondu à cette paternelle amitié par la déférence la plus respectueuse et la plus tendre. Ce mot qui lui échappe sur l’égoïsme si naturel du vieux maréchal est plutôt une réflexion joyeuse ; il agirait ainsi lui-même à l’occasion, et l’on voit d’ailleurs qu’il en prend lestement son parti, sachant bien que l’activité multiplie les ressources de l’homme de guerre, et qu’une armée française, même faiblement organisée, vaudra bientôt ce que vaudra son chef. C’est ce qu’il montra d’une manière éclatante sur cette ligne du Rhin défendue avec tant de vigueur et de succès. Le 4 octobre, établi au camp de Schleithal, il avait le droit d’écrire au comte de Brühl : « J’ai été le bouclier de la Haute-Alsace contre le prince Charles. »

Les premiers mois de l’année suivante (1744). sont marqués par un projet hardi, aventureux, tout à fait digne d’être réalisé par Maurice ; il s’agissait de jeter une armée française en Angleterre et de soulever les partisans des Stuarts. Si ce projet n’avait pas été abandonné, l’héroïque tentative de Charles-Edouard en Écosse, l’expédition illustrée par les victoires de Preston-Bans et de Falkirk, par la prise d’Edimbourg, de Carlisle, de Manchester, de Derby, eût été accomplie deux ans plus tôt, et c’est à Londres même que le jeune prince, secondé par nos troupes, aurait porté les premiers coups. Le comte de Saxe était déjà désigné pour le commandement de l’expédition. Le caractère extraordinaire de cette entreprise offrait une occasion de donner au vainqueur de Prague un titre exceptionnel et de le mettre en quelque sorte hors de pair sans offenser les