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le nom de Maurice, Voltaire laisse éclater des émotions inconnues aux autres périodes de sa vie. L’amour de la patrie semble créer en lui un homme nouveau. Déjà en 1744, au milieu des angoisses publiques, quand le roi se mourait à Metz et que l’invasion frappait à nos portes, Voltaire était parti pour Berlin, et là, à force d’esprit, d’adresse, de séductions, il avait décidé son ami le roi de Prusse à reprendre les armes contre l’Autriche. Ce détail si peu connu est l’un des meilleurs titres du poète ; l’auteur de Mérope protégeait la France à Berlin comme Maurice la sauvait en Alsace. C’est le marquis d’Argenson qui avait mis en campagne ce diplomate, auquel ses prédécesseurs n’auraient jamais songé. Esprit original et hardi, philosophe dévoué au bien de l’état, précurseur de Jean-Jacques et de Turgot, d’Argenson aimait Voltaire, il le contenait, il le guidait, et si Voltaire avait eu plus longtemps un guide comme celui-là, si d’Argenson n’avait pas été disgracié après quelques mois d’un ministère glorieux, le grand agitateur aurait exercé assurément une meilleure influence sur son siècle. Ils s’étaient connus dès le collège, chez les jésuites de Louis-le-Grand. En 1744, le marquis d’Argenson, jusque-là gouverneur de province et conseiller d’état, remplace M. Amelot aux affaires étrangères, et à dater de ce moment les rapports du ministre et du poète deviennent plus intimes, plus actifs : d’Argenson communique à Voltaire son amour du pays, il l’intéresse à la cause de la paix, il emploie sa plume pour des travaux diplomatiques, il lui fait écrire la lettre que Louis XV doit adresser à la tsarine Elisabeth pour l’engager à se porter médiatrice entre les belligérans, il le nomme historiographe de France. Historiographe de France ! à un tel moment, quand Maurice tient le drapeau, la fonction est digne du poète. Avec quelle verve il racontera ces campagnes dont il a, lui aussi, préparé les succès par ses négociations ! Comme son cœur est ému ! comme il suit nos soldats sur tous les champs de bataille ! Si une victoire décisive relève la France, c’est Voltaire qui en reçoit le premier la nouvelle, et qui la reçoit du marquis d’Argenson ! Le soir même de la bataille de Fontenoy, d’Argenson envoie un courrier à Voltaire, et Voltaire lui répond en trois lignes :


« Jeudi, 13 mai, onze heures du soir.

« Ah ! le bel emploi pour votre historien ! Il y a trois cents ans que les rois de France n’ont rien fait de si glorieux. Je suis fou de joie. Bonsoir, monseigneur. »

Quelques jours après, le ministre adresse au poète une description de la bataille, description vive, brusque, familière, profondément