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l’arrose, mais n’est-elle vivifiée que par le courant des fontaines qui jaillissent du sol, non d’elles-mêmes, ni par les pluies qui tombent sur la terre et qui remontent par ses veines, comme chez nous, mais grâce à un grand travail des habitans ? Serait-ce l’indice que les lieux qui produisent des fontaines de ce genre, fontaines qui donnent naissance à de vrais fleuves d’une eau aussi douce que limpide, sont dominés par des hauteurs ? Mais au contraire ces vastes plaines, très éloignées des montagnes, sont tout à fait unies et complètement arides, ou tout au moins ne renferment qu’une très petite quantité d’eau lourde et salée qui ne surgit pas du sein de la terre, mais qui se trouve dans les creux et ne suffit pas pour étancher la soif pendant l’été. » M. Aymé, chimiste manufacturier, qui avait établi en 1849 de grandes fabriques d’alun dans deux oasis égyptiennes dont il était gouverneur, a curé plusieurs de ces puits et en a donné la description ; ils étaient munis d’une soupape en pierre de la forme d’une poire, qui s’adaptait au trou dont la roche était percée ; attachée à une corde, cette soupape permettait de modérer à volonté l’ascension de l’eau, dont l’abondance est telle qu’elle eût sans cela inondé l’oasis. Ces puits étaient profonds, mais le docteur Griffith, qui a traversé plusieurs fois les déserts de l’Égypte, affirme que l’on rencontre l’eau à de très petites profondeurs dans le sable : il suffit de percer avec une verge la roche très peu épaisse qui retient les eaux captives. Cette verge, c’est celle de Moïse faisant jaillir l’eau du rocher dans le désert du Sinaï ! L’imagination d’un peuple enfant voyait un miracle dans ce fait naturel, conséquence nécessaire de l’hydrographie souterraine du désert et des lois de l’équilibre des fluides. Un historien arabe du XIVe siècle, Ibn-Khaldoun, nous raconte qu’il existait à cette époque des fontaines jaillissantes dans le Sahara. Pour lui, c’est également un fait miraculeux, et il ajoute : « Dans ce monde, le possesseur des miracles, c’est Dieu, le créateur et le savant. » Il en est de même aujourd’hui. Aux yeux de l’Arabe, tout est merveille, et pour lui ce n’est pas le surnaturel, c’est le naturel qui n’existe pas. Dans le Sahara, une légende se rattache à chaque monticule, chaque trou, chaque vallée, chaque fontaine, chaque mare, et même aux arbres isolés. Le désert fourmille de miracles enfantés par l’imagination sémitique.

Les habitans des oasis creusent actuellement encore des puits artésiens. Le travail est très pénible. À mesure qu’ils foncent, les terres sont soutenues par des blindages en bois de palmier ; quand l’eau jaillit, le puits est encore obstrué par des sables. Des plongeurs (rtass) munis de paniers descendent le long d’une corde et enlèvent ce sable ; ils peuvent rester jusqu’à trois minutes sous l’eau. Quand l’un d’eux ne remonte pas, les autres plongent pour le secourir. Exempts d’impôts, ils formaient une corporation respectée,