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plantés au fond d’un trou conique de 8 mètres de profondeur environ. Le sable avait été relevé de tous côtés ; de faibles palissades en feuilles de palmiers plantées sur la crête le retenaient sur certains points ; sur d’autres, des cristaux de sulfate de chaux, de toutes les formes et de toutes les grosseurs, alignés comme dans une galerie de minéralogie, contribuaient aussi à fixer un peu le sable mobile. Au fond de ces trous, les dattiers étaient plantés sans ordre ; mais ce n’était plus le palmier grêle et élancé des oasis, le palmier idéal des peintres : c’étaient des arbres au tronc cylindrique, court et gros, portant à quelques mètres du sol des palmes de trois mètres de long et une couronne de régimes de dattes, chapiteaux de ces fûts d’un mètre d’épaisseur. Il me semblait voir les colonnes basses et massives d’un temple égyptien ou d’une mosquée de style mauresque. Des racines adventives partant de la base du tronc et s’enfonçant dans le sol formaient à ces colonnes un piédestal conique, et les grandes palmes s’entre-croisant en ogive rappelaient ces longues colonnades si habituelles dans les monumens dont je viens de parler. Le soir, en pénétrant sous ces voûtes sombres, j’étais saisi d’un véritable sentiment de respect, et ces palmiers majestueux et immobiles au fond de leur cratère de sable étaient bien l’emblème de la civilisation africaine, immobile au milieu du monde agité qui l’entoure. Ces dattiers sont l’objet de soins tout particuliers. Le laborieux habitant du Souf creuse d’abord dans le sable le trou dans lequel il les plantera : seul, ou aidé d’un de ces petits ânes gris qu’on ne voit que dans cette partie du désert, il remonte le sable et forme ainsi un déblai circulaire de 6 à 12 mètres de haut. La crête est consolidée, comme nous l’avons dit, par des feuilles de palmiers et dès rangées de cristaux de gypse. Les racines des palmiers atteignent directement la nappe d’eau peu profonde qui règne sous toute la contrée.

Là ne se bornent pas les soins dont ces arbres sont l’objet. Les habitans vont partout sur le trajet des caravanes ramasser la fiente des chameaux, qu’ils mettent au pied de leurs arbres. De là la végétation vigoureuse, dont nous avons parlé. Le dattier est réellement cultivé comme un arbre à fruits. Aussi se charge-t-il de régimes énormes. Les dattes mûrissent dans ces cavités, à l’abri du vent et des rayons du soleil, sous l’influence d’une chaleur sans lumière, mais d’autant plus efficace qu’elle est réfléchie de tous côtés par les talus sablonneux environnans. Le fruit grossit sans se flétrir ni se dessécher : il reste charnu, onctueux et couvert de sucre ; mais que de peines pour obtenir cette unique récolte ! Un seul coup de vent suffit pour combler le trou et ensevelir les palmiers dans le sable. Le pauvre cultivateur, descendant pacifique des Gétules et des Numides, se remet à l’œuvre, creuse de nouveau son jardin et