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douces se répand sur tout le ciel occidental. Émanation de l’astre disparu, elle colore toutes les montagnes. L’une d’elles, visible de Biskra, est appelée Djebel-Hammar-Kreddou, la montagne à la joue rose : elle mérite ce nom, car longtemps encore après le coucher du soleil elle conserve un reflet rose comme l’incarnat des joues d’une jeune fille. Par un effet de contraste avec le rouge, le bleu du ciel prend une teinte vert d’eau. Peu à peu le rose pâlit, l’arc éclairé se rétrécit, et la lumière qui l’illumine est blanche et pure comme celle qui doit briller dans l’éther au-delà des limites de notre atmosphère. Grâce à la transparence de l’air, tous les contours des objets terrestres sont parfaitement arrêtés. Les fines découpures des feuilles de palmier deviennent plus visibles qu’en plein jour, et, quand l’arbre tout entier se détache sur ces fonds alternativement jaunes, rouges et blancs, il semble que la poésie de ce noble végétal se révèle aux yeux pour la première fois. Cependant la nuit se fait. Les planètes, puis les grandes constellations apparaissent les premières : le ciel se peuple de myriades d’étoiles, sa voûte s’éclaire, la voie lactée, bande blanchâtre et effacée dans les hautes latitudes, semble une écharpe de diamans étincelans jetée sur le dôme céleste. La lune n’est plus cet astre blafard dont le regard mélancolique semble compatir à la tristesse de nos pays embrumés ; c’est un disque brillant de l’argent le plus pur, réfléchissant sans les affaiblir les rayons qu’il reçoit, ou un croissant complété par la lumière cendrée qui dessine visiblement les contours de l’orbe tout entier. Tel fut le coucher de soleil du 13 décembre 1863, la veille de notre départ de Biskra ; il nous émut profondément : c’était notre adieu aux soirées du désert.

Si maintenant nous voulons savoir quel est l’avenir de ces étranges contrées, consultons le passé. Les ruines des villes romaines les plus rapprochées du Sahara forment une ligne continue sur le versant septentrional de l’Aurès et les derniers contre-forts de l’Atlas. Des restes imposans de temples, de prétoires, de portes triomphales, témoignent du long séjour des Romains dans l’Afrique septentrionale et de l’état de leur civilisation. Quand on s’avance vers le désert, en suivant la route de Batna à Biskra, on trouve de myriamètre en myriamètre les traces des postes militaires établis sur des mamelons, près des défilés et au confluent des rivières : ils sont reconnaissables de loin aux pieds-droits des portes encore debout, aux grandes pierres taillées et aux poteries rouges qui jonchent le sol. Le dernier de ces postes est dans le désert, au sommet d’un monticule de gypse, à trois lieues des Zibans. Sur une des pierres, on a trouvé cette singulière inscription : burgum speculotorum, la forteresse de ceux qui surveillent le désert. Des temples, des portes