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triomphales, quelques ponts et des postes militaires, voilà ce que les Romains ont laissé en Afrique. Notre dernière station militaire est plus loin que celle des Romains, elle est à Tougourt. Là un sous-lieutenant et un sergent français, commandant soixante tirailleurs indigènes, font régner la paix dans la partie la plus reculée du désert, empêchant la guerre d’oasis à oasis et arrêtant les incursions des brigands tunisiens. Les tranquilles habitans du Souf sont protégés contre les nomades, contre eux-mêmes et contre l’étranger. Jusqu’ici nous ne faisons qu’imiter les Romains ; mais où nous les surpassons, c’est en jalonnant la route du désert et en dotant les oasis de puits artésiens qui leur rendent la vie. Notre poste le plus avancé n’est point un poste militaire, c’est le puits de Bardad, sur la route d’Ouargla, la première étape de celle de Tombouctou. Lorsqu’un jour les oasis se seront rejointes, grâce aux fontaines jaillissantes que le général Desvaux fait surgir de toutes parts, et qu’une forêt de palmiers unira Biskra à Tougourt, alors des rails s’ajouteront bout à bout sur ces plateaux désertiques que la nature semble avoir préparés pour les recevoir. La civilisation pénétrera dans le désert, rayonnant d’un côté vers l’Égypte, de l’autre vers le Sénégal : elle achèvera la mission des martyrs de la science et de l’humanité qui ont péri dans l’Afrique centrale en attaquant dans son repaire le monstre hideux de l’esclavage. Le christianisme a mis fin au servage antique, la France et l’Angleterre mettront fin à l’esclavage moderne. Les deux nations marchant l’une à la rencontre de l’autre, l’Angleterre partant du Cap, la France de l’Algérie et du Sénégal, se donneront la main au centre de l’Afrique, après avoir accompli cette grande œuvre. L’antique civilisation égyptienne dont les restes imposans forment la majestueuse avenue de monumens qui bordent le Nil depuis la Nubie jusqu’à l’isthme, qui ne séparera plus les deux mers, renaîtra transformée. Jadis hiératique et stationnaire, cette civilisation sera rationnelle et progressive ; comme l’esprit humain lui-même, elle s’affranchira lentement, mais sûrement, des entraves politiques et religieuses qui la gênent encore.


CHARLES MARTINS.