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répandre partout l’agitation ou le mécontentement. Tant qu’il n’y a pas révolte ouverte et voie de fait, le texte formel de la constitution arrête toute intervention de la justice ou de l’administration.

La liberté d’enseignement est également illimitée. Tandis que partout ailleurs on demande à celui qui entend se charger de la délicate mission d’instruire les enfans des preuves de capacité ou tout au moins de moralité, en Belgique chacun peut ouvrir une école là où il lui plaît, et enseigner à son gré. Plus d’autorisation préalable, plus de certificats, plus de surveillance d’aucune sorte. La presse aussi n’a plus à craindre ni restrictions, ni censures, ni entraves. On peut tout dire et tout écrire ; on peut soumettre à la critique non seulement les actes de l’autorité, mais les institutions du pays et jusqu’aux principes qui forment la base de l’ordre social. « La liberté de manifester ses opinions en toute matière est garantie, » dit la constitution. Chacun peut à sa volonté établir une imprimerie ou fonder un journal sans brevet, sans autorisation, sans cautionnement.

Dans les autres pays, l’état, qui paie les ministres des cultes, intervient dans leur nomination et exerce sur eux une autorité plus ou moins effective. Ici le clergé est rétribué, mais il est complètement indépendant du pouvoir civil : plus de droit de proposition pour la nomination aux sièges épiscopaux, plus d’appels comme d’abus pour arrêter les empiétemens de l’église ou pour rétablir l’ordre dans son sein, plus de placet pour empêcher la publication des actes de Rome, comme vient de le faire le gouvernement français à propos de l’introduction de la liturgie romaine dans le diocèse de Lyon. Le pape peut nommer évêques, les évêques peuvent nommer curés qui ils veulent, des étrangers, des hommes immoraux, incapables, hostiles aux institutions du pays : l’état doit toujours les salarier.

On le voit, le congrès n’avait reculé devant aucune des applications de ce large et séduisant programme, liberté en tout et pour tous ; mais n’était-ce pas une entreprise bien périlleuse que de prodiguer ainsi toutes les libertés à un peuple qui en avait toujours été sevré depuis l’indépendance communale du moyen âge, et pour qui le régime hollandais n’avait été qu’une initiation insuffisante et d’ailleurs sans cesse contestée à la vie politique moderne ? N’y avait-il pas imprudence à garantir à une nation émancipée d’hier un ensemble de droits que n’avait pas osé adopter un grand pays voisin mieux préparé à les exercer ? On eût été disposé à le croire, et cependant trente-trois années de prospérité et de paix ont justifié l’œuvre hardie du congrès. Du jour où leur indépendance a été assurée, les provinces belges, si longtemps asservies à l’étranger, si souvent dévastées par les armées ennemies ou ruinées et ensanglantées