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I

Il y a des contrées où l’on considère l’existence de partis politiques comme un danger pour l’état ; en Belgique, on croit au contraire que le régime représentatif n’est fécond que quand il existe des partis nettement tranchés. Cette division restera en effet une nécessité tant que le pouvoir ne sera pas infaillible, et aussi longtemps que le monde sera imparfait, il y aura des opinions différentes sur les meilleurs moyens d’améliorer ce qui existe. Jamais on ne supprimera les partis qu’au prix de la liberté.

Le régime parlementaire a essentiellement besoin pour vivre de discussions et de lumière ; dans le silence et les ténèbres, il languit et meurt. Qu’on ne s’effraie pas, si les dissidences se dessinent dans toute leur âpreté et si les opinions s’entre-choquent à grand bruit : c’est seulement à cette condition que la liberté peut s’implanter et durer. Il lui faut cet air vif et agité qui trempe les caractères et affermit les convictions. « Chez les peuples libres, dit Tocqueville, on ne gouverne que par les partis, ou plutôt le gouvernement, c’est un parti qui a le pouvoir. Le gouvernement y est d’autant plus puissant, persévérant, prévoyant et fort, qu’il existe dans le sein du peuple des partis plus compactes et plus permanens. » A défaut de principes généraux et de grands partis qui les défendent, les chambres législatives se divisent en de petites fractions qui représentent des intérêts de localité, des opinions isolées ou des prétentions individuelles qu’il faut satisfaire où endormir. Toute ambition personnelle est une voix avec laquelle il faut compter, ou qu’on espère séduire. Ne pouvant s’appuyer sur aucun groupe permanent d’adhésions dictées par la communauté des vues, le ministère est réduit à mendier des votes, à s’humilier devant qui lui résiste, à combler de faveurs qui le soutient, et à diminuer ainsi et lui-même et ceux auxquels il s’adresse. Les cabinets naissent alors au hasard, vivent au jour le jour de concessions et de faiblesses et tombent par surprise sans qu’on sache pourquoi, ainsi qu’on l’a vu souvent dans deux pays d’ailleurs si différens, en Espagne et en Hollande. Au contraire, quand deux partis nettement accusés sont en présence, les hommes qui gouvernent, sûrs d’une majorité tenue de les soutenir sous peine de défection, peuvent dédaigner les exigences individuelles pour imprimer à l’administration une marche ferme et pour ne s’occuper que de l’intérêt général. Les questions sur lesquelles on se divise sont si clairement posées qu’on ne saurait passer d’un parti dans un autre sans avouer qu’on était extrêmement ignorant, ou sans donner lieu de croire qu’on écoute son intérêt plus que sa conscience. Aussi faut-il en Belgique rendre