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cette justice aux deux partis en présence, que les défections politiques ont été très rares, toujours flétries par l’opinion, et mal accueillies par ceux-là mêmes qui en profitaient. Une lutte constante a porté si haut le niveau de la moralité des hommes publics des deux camps opposés, que jamais le moindre soupçon de corruption n’est venu effleurer le caractère de l’un d’eux. Loin donc de se plaindre de l’existence des partis, on s’accorde à reconnaître que c’est grâce à eux que le régime représentatif a réussi, et que la vie politique s’est répandue dans le pays.

Il n’y a en Belgique que deux partis, le parti libéral et le parti catholique. Le premier a toujours accepté son nom. Le second a longtemps répudié le sien pour essayer de s’emparer de celui de conservateur ; mais depuis qu’il a adopté le mot d’ordre de M. de Montalembert : « alliance de l’église et de la démocratie, » et qu’il a pris l’initiative de certaines réformes dites démocratiques, il ne prétend plus à ce titre, et il semble se résoudre à porter le nom que l’habitude lui a imposé. À première vue, ces désignations paraissent peu caractéristiques, car les partisans des deux opinions se proclament également très catholiques et très libéraux. Les catholiques soutiennent qu’ils sont les vrais représentans et les seuls défenseurs de la liberté, et ils traitent leurs adversaires de despotes. D’autre part, les libéraux déclarent qu’ils sont sincèrement attachés au catholicisme, et ils le prouvent en augmentant le salaire des ministres de ce culte et en prodiguant les subsides pour les églises, les presbytères et les séminaires ; mais si dans les deux camps on respecte également le catholicisme et la liberté, d’où vient cette lutte sans cesse plus ardente qui amène au scrutin jusqu’au dernier électeur valide[1] ? Est-ce, comme on l’affirme, l’effet d’un malentendu, la suite d’une équivoque ? On pourrait le croire, si le débat qui s’agite en Belgique entre catholiques et libéraux n’était pas au fond un simple épisode de la grande lutte engagée partout entre l’église, qui veut maintenir sa domination, et la société laïque, qui la repousse, une des phases principales de cette crise que traversent en ce moment les peuples catholiques[2]. Pour s’en convaincre, il suffit d’interroger l’histoire ; elle va nous montrer comment ces partis sont nés, quels sont leurs antécédens, leurs principes, et comment les libertés inscrites dans la constitution belge devaient inévitablement faire éclater leur hostilité.

  1. En 1851, 64 électeurs sur 100 prennent part au vote, en 1852 75, en 1857 84, et en 1863, là où il y a lutte, 90 sur 100. Ce chiffre montre que, déduction faite des morts, des malades et des absens, tous les électeurs ont voté, marque certaine de la passion politique qui anime les deux partis, et preuve évidente que de graves intérêts généraux sont en jeu.
  2. Voyez dans la Revue du 15 février 1863 la Crise religieuse au dix-neuvième siècle.