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de la vie, et il pénètre, il commande presque à leur foyer par l’influence irrésistible d’une épouse chérie. Il enveloppe ainsi la société de toutes parts, il l’enserre, il la tient par ses traditions, par ses racines, par les meilleurs et les plus purs sentimens qui vivent au cœur de l’homme, et toutes, ces forces incomparables, sur un mot de l’épiscopat, il les soulève et les lance dans la lutte électorale pour en accabler son adversaire, le parti libéral. Quand on songe à la disproportion des moyens dont disposent les deux partis, on s’étonne que le libéralisme existe encore, et on est tenté de croire que, si même il l’emporte souvent, c’est qu’il a pour lui ce décret mystérieux de la Providence qu’on appelle la force des choses.

Il est une circonstance qui augmente encore la gravité de la situation. Jadis les souverains avaient un intérêt évident à ne pas laisser usurper leur pouvoir, et les plus soumis à l’église ne cessaient d’élever mille obstacles à ses empiétemens. L’histoire est remplie de ces démêlés. En Belgique, la séparation de l’église et de l’état rend toutes ces précautions impossibles, et d’ailleurs elles seraient vaines, car le corps électoral étant souverain et les chambres faisant les lois, quand l’église emporte la majorité, elle emporte tout. Dans un état libre, avec un ministère à sa dévotion, elle règne donc plus souverainement qu’au temps de Philippe II.

Si l’on veut bien se rappeler maintenant que le Vatican a condamné les libertés modernes, et qu’il les extirpe par le moyen des concordats là où on lui en donne le droit, que le clergé belge est en tout soumis aux inspirations de Rome, qu’il exerce dans le pays une influence immense par l’enseignement, par la chaire, par le confessionnal, par sa discipline, par le budget dont il dispose, par les couvens qu’il multiplie, par les sociétés politiques qu’il organise, si l’on considère en outre qu’il a renversé, dans l’espace de quarante années, deux dynasties qui lui résistaient, et qu’il tend à s’emparer du pouvoir par les représentans qu’il fait élire, alors on comprendra les alarmes si vives du parti libéral.

Il n’est pas facile de prédire l’issue de la lutte, car si le parti catholique a pour lui les forces de l’autorité et de l’organisation, le parti libéral peut compter sur la diffusion des lumières et sur le mouvement naturel des esprits ; mais ce qui est certain, c’est que l’église, en descendant ainsi tout armée dans l’arène politique, crée une situation périlleuse pour tous et principalement pour elle. Les hommes de la génération de 1830 croyaient qu’on pouvait combattre le clergé sur le terrain politique sans s’occuper de la question religieuse, et ils se vantaient de leur attachement à la foi de leurs pères et des faveurs dont ils comblaient le culte. Ceux qu’on appelle les jeunes libéraux, c’est-à-dire ceux de la génération nouvelle, ne semblent plus partager les mêmes idées et tiennent un autre langage.