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vous assigné par Louvois ; l’avertissement lui était arrivé trop tard. Dans la lettre d’excuse qu’il s’empressa d’adresser au-secrétaire d’état, il essaya de défendre son projet de citadelle : « Je prendrai humblement la liberté de vous dire, écrivait-il comme en passant, que M. de Turenne, à qui M. de Bellefonds m’a conseillé de donner part de ce projet, l’a fort approuvé. » Quoique Louvois ne fût pas encore en lutte ouverte avec Turenne, il est certain qu’il subissait impatiemment l’empire exercé par le maréchal-général dans toutes les parties de l’administration militaire, et c’était être bien malavisé que de prétendre lui imposer l’opinion de Turenne après lui avoir opposé celle du marquis de Bellefonds. Aussi n’est-il pas étonnant que Louvois ait écrit à Charuel : « Vous pouvez laisser discourir M. le chevalier de Clerville sur tout ce qu’il estime à faire dans les places. Comme il parle fort bien et qu’il y prend plaisir, vous pouvez le laisser dire ; mais ne faites jamais rien de tout ce qu’il dira que vous n’en ayez ordre d’ici, ou que M. d’Humières ne le désire absolument. »

À Péronne, Vauban, qui s’était fort heureusement trouvé au rendez-vous, avait reçu les instructions de Louvois. Il était chargé de faire, en son propre nom, le projet d’une citadelle et d’un réduit dans quelqu’un des bastions opposés, afin de tenir en sûreté les troupes contre les entreprises des bourgeois, et de mettre au besoin ceux-ci entre deux feux. Cependant le marquis d’Humières, qui avait l’esprit conciliant, s’était proposé de réunir dans une conférence le chevalier de Clerville et Vauban. Il concédait au chevalier le mérite d’avoir bien choisi son terrain, à quoi Vauban ne contredisait pas, sauf réserve ; mais en revanche le chevalier de Clerville était presque forcé de reconnaître que Vauban, qui donnait cinq bastions à la citadelle, était mieux inspiré que lui, qui la réduisait à quatre. « J’espère, écrivait Vauban à Louvois, vous faire voir tant d’avantages en mon projet, bien différent du sien, que j’ose me promettre que vous l’approuverez. Je lui en voulois faire un secret, parce qu’il se l’appliquera ; mais M. d’Humières, que j’ai mené sur les lieux, ne l’a pas plus tôt vu qu’il le lui a dit. Je ferai pourtant bande à part, et vous aurez mes sentimens tels qu’il plaira à Dieu me les inspirer, sans mélange. » Et comme il avait grand besoin de temps pour travailler à ses plans et mémoires, il était obligé de demander à Louvois un ordre exprès, afin d’être exempté des gardes ordinaires qui lui prenaient, comme à tous les officiers d’infanterie, un jour sur trois.

Quant à M. de Clerville, c’était seulement la faveur d’un entretien qu’il sollicitait de Louvois ; mais de quel style ! Molière seul pouvait imaginer le pareil :