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je lui mande que l’intention de sa majesté est qu’il décide lui-même sur les deux dessins du sieur de Vauban et du chevalier de Clerville, et que le roi croira que le parti qu’il aura pris sera le meilleur. » C’en était fait : les dernières réserves du chevalier de Clerville étaient en pleine déroute, et Vauban, décidément vainqueur, pouvait écrire à Louvois le 28 décembre : « Enfin, monseigneur, la citadelle de Lille est tracée !… Il y a aujourd’hui environ quatre cents hommes sur le travail, et, Dieu aidant, j’espère, dans huit jours, voir toute ma contrescarpe enveloppée de monde. »

Que Louvois ait découvert, sous de faux dehors, la médiocrité du chevalier de Clerville, c’est un mérite ; mais ce qui lui fait le plus d’honneur, c’est d’avoir deviné le génie de Vauban. Le réformateur de l’armée, pour accomplir son œuvre, attendait le réformateur de la fortification ; il l’a reconnu entre tous, et tout de suite lui a fait sa place. Nécessaires l’un à l’autre, ces deux hommes se sont associés pour le plus grand bien de Louis XIV et de la France, et cependant combien n’étaient-ils pas dissemblables ! Si l’on nous demande quel est celui des deux qui a le plus apporté dans ce commerce, nous dirons sans hésiter : c’est Vauban, et c’est Louvois qui en a profité davantage.


Des premières années de Vauban à peine reste-t-il quelques témoignages et quelques traits épars de sa physionomie ; mais ce sont les traits vraiment essentiels et frappans. Dans les pages qu’on vient de lire, tout Vauban se révèle, et ses divers mérites y sont reconnaissables : la vivacité d’esprit, la justesse de sens, la délicatesse d’âme, et surtout ce profond sentiment d’humanité qui a fait de lui parmi ses grands contemporains le plus grand peut-être, parce qu’il a donné la meilleure idée de l’homme.


CAMILLE ROUSSET.