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États-Unis un émigrant part pour les solitudes de l’ouest, il sait bien qu’il aura à se garder lui-même ; l’état qui lui livre des terres ne le garantit ni contre les malfaiteurs, ni contre les nègres marrons, ni contre les bandes d’Indiens qui infestent cette zone. Il y pourvoira de ses mains. S’il est isolé, il fera de sa maison un, camp retranché avec des palissades, des fossés, des chevaux de frise ; s’il fait partie d’un groupe, il s’enrôlera pour la défense commune, tiendra sa poudre au sec et veillera, ses armes chargées. En même temps il pousse au loin ses cultures et s’en sert comme d’un rempart. D’autres colons arriveront plus tard, qui le couvriront comme il a couvert ceux qui l’ont précédé. Ainsi s’avance sur un, front étendu, par empiétemens successifs, cette civilisation sédentaire qui refoule la barbarie par sa propre force et sa propre vertu. Entre les hordes indiennes et les tribus arabes, le rapprochement, il est vrai, ne serait pas exact. Comme les Mahrattes de l’Inde, comme les clans d’Ecosse avant qu’on ne les eût réduits, ces tribus ont des mœurs militaires qui les rendent redoutables et qu’on semble avoir pris à tâche d’entretenir ; mais il n’en est pas moins constant qu’il est dans l’essence d’une colonisation de marcher en avant au prix de quelques risques, et que la sécurité à lui ménager n’est jamais qu’une sécurité relative. Sa puissance est surtout dans son audace, dans le sort qu’elle se fait, dans la souplesse que met le génie civil à s’approprier les élémens les plus réfractaires. Dans ces conditions seulement, les races se pénètrent et une fusion s’opère, non une fusion artificielle, sujette à des surprises et à des retours, mais cette fusion définitive qui naît du contact des hommes et du mélange des intérêts.

Ce qui reste certain, c’est que le régime de concession directe pour les terres du domaine a marché en Algérie de mécompte en mécompte. D’une part les servitudes de la défense, d’autre part les dévolutions par privilège ont réduit à un cadre très étroit la zone aliénable. Puis, quand elle s’est dessaisie, l’administration n’a pas toujours eu la main heureuse ; souvent on la lui a forcée. C’est au point qu’à un moment donné elle en a éprouvé des scrupules. Pour se mettre à couvert, elle a eu recours à l’adjudication. Des emplacemens ont été choisis, découpés par lots et mis aux enchères. On appelait ainsi tous les acquéreurs sans distinction à faire leurs offres ; on tirait un prix de ce que jusque-là on avait livré gratuitement. Les acquéreurs sont venus, il y a eu des ventes opérées. Pratiqué avec suite, ce nouveau mode d’aliénation eût certainement réussi. Pour cela, il eût fallu en faire une règle et non une convenance d’occasion, ne plus distribuer à titre de don ou par voie d’arrangement direct ce que dans d’autres cas on ne cédait qu’à la va-