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donc la métaphysique et la psychologie. Ils croiront avoir fondé une science positive, tandis qu’ils n’ont fait qu’une métaphysique incomplète et mutilée. Ils s’attribuent l’autorité et l’infaillibilité qui appartiennent aux sciences proprement dites, aux sciences d’expérience et de calcul ; mais cette autorité leur manque, car leurs idées, si défectueuses qu’elles soient, sont de la même famille que celles qu’ils attaquent. De là la faiblesse de leur situation, de là la dispersion inévitable de leurs idées, dont les unes retourneront aux sciences positives, d’où elles sont issues, et les autres iront retrouver la science philosophique, à laquelle elles appartiennent.

Les positivistes ont raison quand ils combattent une métaphysique qui construit la nature à priori, ou qui, dans la formation de ses synthèses, néglige entièrement la nature ; mais ils ont tort lorsqu’ils contestent à la métaphysique le droit de chercher dans l’analyse de l’esprit humain et dans la critique de l’entendement un fondement à la science du monde intellectuel et du monde moral. Ici ce n’est plus leur science qui proteste, c’est leur ignorance ; ce n’est plus une juste réclamation, c’est un orgueilleux empiétement ; ce n’est plus liberté et progrès, c’est tyrannie et préjugé. Il y a des esprits qui n’ont pas le goût de la métaphysique ; qu’ils s’en abstiennent, rien de mieux : ils seront plus utiles en faisant autre chose ; mais que, mesurant les destinées de l’esprit humain d’après leurs goûts et leurs inclinations, ils veuillent supprimer toute recherche dont ils ne sont point eux-mêmes curieux, c’est là une vue si aveugle et si étroite qu’on ne peut trop en admirer la naïveté et l’impuissance.


II

De tous les esprits indépendans qui, depuis une dizaine d’années, ont cherché leur voie en dehors des sentiers tracés, le plus distingué et le plus fort ne doit pas être le plus populaire. Plus la science est élevée et sérieuse, moins elle est accessible à la foule ; mais si le mérite philosophique consiste dans la recherché sévère, abstraite, entièrement désintéressée des principes et des causes, si le philosophe doit étudier les questions en elles-mêmes et ne s’élever à la solution que par un lent et laborieux enfantement, si, évitant de parler aux passions, ne cherchant pas le succès, ne songeant ni à plaire ni à déplaire, il n’a d’autre ambition que de se satisfaire soi-même (au risque de ne pas satisfaire tout le monde), si ce sont là les rares qualités du métaphysicien, on ne saurait contester ce titre à un philosophe dont nous ne partageons pas toutes les doctrines,