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Bossuet a dit ces paroles profondes : « Pourquoi l’imparfait serait-il, et le parfait ne serait-il pas ? Est-ce à cause qu’il est parfait ? Et la perfection est-elle, un obstacle à l’être ? Au contraire, la perfection est la raison d’être. » Mi Vacherot cite ces paroles, il déclare qu’elles sont très éloquentes, mais qu’il ne peut y souscrire. Je le regrette. Rien, je l’avoue, ne me paraît plus beau et plus profond que cette pensée : « la perfection est la raison d’être. » Aristote, qu’on n’accusera pas d’être un théologien rétrograde, disait de même que « le parfait ne peut naître de l’imparfait, » car d’où viendrait ce surplus qui s’ajoute à l’imparfait pour le perfectionner ? Oui, la perfection est la raison d’être : si je suppose en effet un être qui n’ait aucune espèce de perfection, c’est-à-dire aucune qualité précise et déterminée, qui ne soit ni ceci ni cela, qui n’ait enfin aucun attribut, je ne puis lui supposer aucune raison d’existence, et, étant un néant d’essence, il est en même temps un néant d’être. Il faut donc attribuer quelque degré de détermination au principe premier ; mais pourquoi tel degré plutôt que tel autre ? Si vous lui supposez quelque puissance, pourquoi ne serait-ce pas la toute-puissance ; — quelque raison, la toute raison ; — quelque être, l’absolu de l’être ? Le premier, quoi qu’il soit, ne peut être, comme on dit en mathématiques, qu’un maximium ou un minimum. Il ne peut être un minimum, car il serait alors un pur zéro[1] ; il serait le rien, le vide absolu. Admettez-vous cela ? Non, sans doute, car de ce vide, de ce zéro, comment quelque chose pourrait-il sortir ? Il sera donc un maximum, c’est-à-dire qu’il possédera l’être dans sa plénitude absolue. C’est ce que nous appelons sa perfection.

Mais ce qu’il y a surtout de profond dans la pensée de Bossuet, c’est cette parole : « la perfection est-elle un obstacle à l’être ? » Leibnitz, qui s’était posé précisément cette question, n’avait pas hésité à répondre que l’idée de parfait n’implique pas contradiction, en d’autres termes que le parfait est possible, qu’il n’est point un obstacle à l’être. Et on ne voit pas en effet ce qu’il pourrait y avoir de contradictoire dans la notion d’un être parfait. C’est ici qu’il importe de distinguer profondément l’essence et les attributs.

  1. On peut contester cette conséquence en disant que l’infiniment petit n’est pas identique au zéro : cela est vrai ; mais il tend sans cesse à se confondre avec lui. Or, comme il n’y a aucune raison de fixer à l’absolu ou à l’être en soi tel degré de perfection ou de détermination plutôt que tel autre, si je le conçois comme un infiniment petit, je devrai diminuer son être de plus en plus, et ne pouvant jamais m’arrêter dans cette opération d’élimination, je le verrai s’enfuyant et se dispersant à l’infini, ayant ainsi une tendance infinie à se confondre avec le zéro ; on ne voit pas alors d’où il prendrait la force nécessaire pour augmenter sans cesse son être, comme l’expérience nous montre que cela a lieu.