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Pour démontrer que l’être parfait est une notion contradictoire, on met en opposition les attributs de Dieu les uns avec les autres, ou bien tel attribut avec lui-même, ou enfin avec la perfection divine ; mais, en supposant qu’il y ait de telles contradictions dans les attributs que nous supposons, il s’ensuivrait peut-être que nous connaissons mal ces attributs, que nous nous en faisons une fausse idée, ou qu’il nous en échappe quelques-uns qui concilieraient la prétendue contradiction : il ne s’ensuit pas que le parfait lui-même soit contradictoire, car en quoi la notion d’un être renfermant tout ce qu’il y a d’effectif et de parfait dans les êtres particuliers, et cela sous la raison de l’infini, en quoi, dis-je, une telle notion implique-t-elle contradiction ?

Il ne faut pas confondre la question de la nature de Dieu avec celle des rapports de Dieu et du monde. Le passage de Dieu au monde, ou, si l’on veut, de l’infini au fini, est un passage difficile et obscur dans toutes les écoles. M. Vacherot est très dur pour la doctrine de la création (qui, bien entendu, n’est pas une explication, mais un aveu d’ignorance) ; il lui reproche d’être un mystère, et il dit que, si l’on admet un mystère en philosophie, il ne voit pas pourquoi l’on n’admettrait pas tous les mystères de la religion chrétienne. C’est là, il nous semble, une assez faible raison, car, outre qu’elle ne vaudrait que contre ceux qui nient les mystères chrétiens, elle ne vaut pas même contre eux. Si l’on admet en effet un mystère (c’est-à-dire une limite à la raison sur un point donné), ce n’est pas un motif pour en admettre deux, trois, qui n’auraient aucune liaison avec celui-là. En outre admettre un mystère philosophique, si l’on y est contraint par le raisonnement, n’engage point du tout à admettre des mystères théologiques, lesquels sont fondés sur la révélation : ce sont là deux ordres de mystères profondément différens. Il y a plus : M. Vacherot, si sévère contre ceux qui admettent le mystère de la création, n’hésite pas lui-même, lorsqu’il s’agit d’expliquer la coexistence des individus dans la substance universelle, à déclarer que c’est « un mystère incompréhensible. » Il a soin d’ajouter que c’est le seul ; mais qu’importe ? Le nombre ne fait rien à l’affaire. Il nous suffit de voir que pour M. Vacherot le passage de l’infini au fini, de l’universel au particulier, enfin de Dieu au monde, est un mystère, tout comme pour nous. Son système ne lui donne donc aucun avantage sur ce point ; mais de quelque manière que l’on se représente ce passage, ce que nous ne pouvons concevoir, c’est que le principe qui est par soi-même, qui possède l’existence absolue, ne soit pas absolu dans tout ce qu’il est, c’est-à-dire ne possède pas soi-même toutes les perfections dont il est la source.

Admettons un instant la non-existence de cet être parfait, je demande