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l’ancienne école, qui n’ont point oublié la fierté chevaleresque de la politique patricienne, lord Stratford de Redcliffe, lord Ellenborough, n’ont pas craint, même après le vote pacifique du parlement, de déplorer avec une mâle tristesse l’échec diplomatique dont l’Angleterre a pris si facilement son parti. Ces rares survivans d’une forte génération disparue ont fait l’effet d’ombres errantes, et leurs discours se sont éteints dans le silence universel comme ces coups de feu perdus qu’on entend encore après la fin d’une bataille. Lord Russell paraît plus que jamais satisfait de lui-même ; lord Palmerston ne chante plus que les prospérités commerciales de l’Angleterre. Les ministres ont célébré le fish dinner de Greenwich, et ils ont été traités par le lord-maire. La session est finie, et la chasse aux grouses est ouverte. C’est tout au plus au ministère anglais qu’il conviendrait de dire que l’inertie c’est la sagesse. Déjà, l’an dernier, une semblable pensée hantait l’esprit de lord Russell, lorsqu’il terminait son fameux discours de Blairgowrie par une profession de foi d’immobilité politique qu’il résumait d’un mot : rest and be thankful (reposez-vous et soyez reconnaissans). Les mots de ce genre ne portent jamais bonheur. Que l’Angleterre se repose, soit ; mais qu’elle ait lieu d’être reconnaissante envers la politique de son gouvernement, c’est une question bien différente.

La France pourrait-elle chercher sa force dans l’inertie après la révélation de cette nouvelle alliance du Nord, à laquelle on a voulu donner le plus grand éclat possible juste au moment où nous venions de refuser notre coopération active à l’Angleterre et où l’abandon du Danemark était consommé ? Il y a une contradiction qui demeure pour nous inexplicable dans la coïncidence de ces deux faits, d’une part notre concours actif en faveur du Danemark refusé à l’Angleterre, et de l’autre la mise en lumière de l’union étroite des trois cours du Nord. Cette union était visible il y a six mois, et nous en avons plus d’une fois signalé l’existence. Il n’est pas moins certain que pendant les six derniers mois elle a dû se resserrer de plus en plus à mesure que la Russie, l’Autriche et la Prusse ont vu plus clairement que la question danoise n’aurait pas la vertu de faire revivre l’alliance active de la France et de l’Angleterre. Cette union des cours du Nord que l’on a dénoncée après la rupture de la conférence de Londres, comme si l’on avait l’air de se réveiller en sursaut, on ne l’avait donc pas prévue, on n’en avait point surveillé l’origine et la formation, on ne la connaissait donc pas ? Si cette combinaison avait été connue, surveillée, prévue, puisque, comme on l’avoue et comme on le proclame aujourd’hui, on n’y peut opposer que le concours de la France et de l’Angleterre, l’alliance occidentale en un mot avec sa force et son prestige, comment se fait-il que dès le début et pendant la durée de l’affaire danoise on ait accueilli avec tant de froideur et repoussé même les avances de l’Angleterre ? Vous croyez à l’existence de la coalition réactionnaire du Nord, vous la divulguez et la dénoncez par toutes les voix de la presse, vous en sentez