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se grossir, soit par le plus petit affluent, soit par la plus légère ondée, comme s’il dédaignait le concours des eaux étrangères. Son importance, déjà si grande, prendra dans l’avenir des proportions plus vastes encore, lorsque les efforts combinés du commerce et de la science l’auront rendu navigable de sa source à son embouchure, car le Nil est la seule artère qui puisse unir, au travers de régions habitées, les peuples occidentaux avec ceux de l’Afrique intertropicale.

Or ce fleuve étrange a caché jusqu’à ce jour son origine. On la lui demande en vain depuis deux mille ans. Au commencement du second siècle de notre ère, l’astronome et géographe Ptolémée la plaçait déjà dans les montagnes de la Lune[1]. Jamais cette recherche n’a été complètement abandonnée, toutefois ce n’est que depuis un demi-siècle que l’on a fait de persévérans efforts pour résoudre ce problème géographique. De nombreux voyageurs, encouragés et soutenus par des corps savans ou par la munificence de divers souverains, parmi lesquels figure l’ancien vice-roi d’Égypte Méhémet-Ali, ont essayé sérieusement de remonter le fleuve jusqu’à sa source ; mais cette source semblait s’éloigner à mesure qu’ils avançaient. Si un de ses principaux affluens, le Bahr-el-Azrek ou Nil-Bleu, avait révélé tous ses secrets, l’origine du fleuve principal, le Bahr-el-Abiad ou Nil-Blanc, restait toujours enveloppée du même mystère. Les explorateurs n’ont cependant manqué ni de courage ni de hardiesse. En 1841, M.  d’Arnaud remonta le fleuve jusqu’au 4° 15′ de latitude nord, non sans avoir eu à vaincre bien des difficultés et à supporter de grandes fatigues. Après lui, un Sarde, M.  Brun-Rollet, vice-consul à Khartoum, a exploré les rives du Bahr-el-Misselab, qu’il avait pris pour le vrai Nil, bien qu’il n’en soit pas même un des affluens les plus considérables. En 1854, le révérend père Knoblecher, de la mission autrichienne de Gondokoro, atteignit le 3° 40′ de la même latitude nord, et apprit des naturels de la tribu de Bari, qui occupe les deux rives du fleuve sur un espace assez étendu, que s’il marchait encore « une lune tout entière, » il arriverait à un point où le fleuve se partage en plusieurs branches et perd considérablement de sa profondeur. Ces renseignemens n’étaient rien moins qu’exacts ; mais l’on comprend que le révérend père, en les recevant, ait cru devoir revenir sur ses pas. L’expédition égyptienne,

  1. Voici ce fameux passage de Ptolémée auquel tant d’écrivains ont fait allusion et dont la vérité dans ce qu’il a d’essentiel vient de recevoir une si remarquable sanction par la découverte du capitaine Speke : Τοῦτον μὲν οὖν τὸν βαρϐαριϰὸν ϰόλπον περιοιϰοῦσιν Αἰθίοπες ἀνθρωποφάγοι, ὧν ἀπὸ δυσμῶν διήϰει τὸ τῆς Σελήνης ὄρος, ἀφ’ οὖ ὐποδέχονται τὰς χιόνας αἴ τοῦ Νείκου λίμναι. — « C’est autour de ce golfe barbare que demeurent les Éthiopiens anthropophages, à l’ouest desquels se trouve la montagne de la Lune, de laquelle les lacs du Nil reçoivent les neiges. » — Claudii Ptolomœi Geographiœ lib. IV, cap. IX, § 3.