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quittent leur pays, traversent les contrées qui les séparent de la côte, viennent à Zanzibar avec la même facilité que s’ils se rendaient à une localité voisine. Ils ne paraissent pas cependant plus intelligens que les nègres des autres pays. Ils sont plus noirs que leurs voisins, et leur angle facial paraît un peu plus aigu. Ils espacent leurs incisives de la mâchoire inférieure et taillent en forme de coin celles de la mâchoire supérieure. Ils ont pour costume national une large pièce d’étoffe dont ils s’enveloppent le corps, mais pour travailler ils se contentent de porter en sautoir une peau de chèvre, vêtement auquel la décence pourrait trouver à redire, si dans ces contrées elle avait voix au chapitre. Il faut ajouter, pour compléter le portrait, qu’ils fument toute la journée, et sont fort adonnés à l’ivrognerie.

Quand le capitaine Speke arriva à Kaseh, la guerre sévissait de toutes parts. Les marchands arabes sont de véritables puissances dans ces contrées. En se servant de leurs nombreux employés et de leurs esclaves, ils peuvent mettre sur pied des corps de cinq cents hommes armés. Leurs caravanes se composent parfois de plusieurs milliers d’individus, et comme ils parlent en maîtres, agissent en tyrans et commettent mille injustices, il est rare qu’ils ne soient pas repoussés par quelqu’une des tribus auxquelles ils ont affaire, et qu’ils veulent pressurer. Ils étaient alors attaqués de divers côtés, et l’on craignait que la ville ne fût mise au pillage. Ce fâcheux état de choses ne permit pas au voyageur de combler les vides que la désertion, les maladies, les congés et la mort avaient faits dans sa caravane. Il mit en campagne son factotum Bombay pour louer des porteurs ; personne ne voulait à aucun prix, dans un moment aussi critique, prendre du service. On étendit les recherches jusqu’à soixante lieues de distance, on parvint enfin à engager une compagnie de cent vingt hommes qui, arrivés aux portes de Raseh et apprenant que la guerre allait éclater, se sauvèrent à toutes jambes à l’exception de trente-neuf, que le capitaine fut heureux d’ajouter à sa suite. Pour remplacer ces fuyards, un marchand arabe, du nom de Musa, s’offrit de lui prêter, moyennant une indemnité convenable, une centaine d’esclaves ; mais ses collègues s’y opposèrent sous prétexte qu’il ne fallait pas dégarnir la ville, qui pouvait être attaquée d’un moment à l’autre.

Ces désappointemens répétés ne parvinrent pas à décourager les voyageurs. Ils poursuivirent l’exécution de leur tâche avec une généreuse ardeur, et n’interrompirent pas un instant les préparatifs nécessaires pour la seconde partie de leur mission, de beaucoup la plus longue et la plus périlleuse. Ils mirent à profit l’affluence de trafiquans arabes et nègres que l’ouverture des hostilités avait amenés à Kaseh, pour se renseigner sur les chemins qu’ils devaient