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Cependant, les bateaux n’arrivant pas, Speke se décida à franchir à pied la distance qui le séparait des sources du Nil en suivant d’aussi près que possible les bords du fleuve. Il pensait n’être éloigné des sources que d’une quarantaine de kilomètres. Il partit le 24, et le lendemain il atteignait le village d’Isamba, où les eaux, irritées par une multitude d’obstacles qui leur barrent le passage, bouillonnent, grondent et forment des rapides d’un aspect féerique. Les nègres eux-mêmes en parlaient avec enthousiasme. Le fleuve à cet endroit était encadré des plus riches produits du règne végétal. Le même tapis de verdure en retenait mollement les eaux et semblait vouloir les cacher aux regards des voyageurs. D’épais rideaux d’acacias brisaient fort agréablement les rayons du soleil. À ces arbres étaient suspendues en festons plusieurs variétés de convolvulus, comme si une main invisible eût voulu enguirlander le Nil. Le chef du district accueillit le voyageur avec beaucoup de politesse, et aurait bien désiré qu’il se fixât pendant quelque temps dans le pays pour le débarrasser de nombreuses bandes d’éléphans qui venaient, jusque dans les villages, faire table rase des produits de leurs jardins.

En sortant de ce district, le capitaine Speke entra dans un canton qu’il appelle les « états de l’église, » parce qu’il est consacré à Lubari, le chef des esprits. Le roi n’y a aucun pouvoir. Un caractère sacré y protège les hommes et les biens. Les villages y sont nombreux, quoique peu considérables. Les habitans reçurent avec plaisir le voyageur étranger, et lui fournirent sans difficulté des vivres, tandis qu’ils se tinrent sur la réserve envers Budja, le représentant de l’autorité civile. Après trois journées de marche, le capitaine Speke arriva, le 28 juillet 1862, à cette cataracte célèbre dont les Waganda lui avaient si souvent parlé, et qui semble avoir été disposée pour que la science n’eût aucune incertitude sur l’origine du Nil. Elle se trouve sous le 0° 21’ 19" de latitude nord et 31° 5’ de longitude est. La hauteur en est à peu près la même que celle du lac, c’est-à-dire trois mille sept cents pieds au-dessus du niveau de la mer. Le fleuve a dans cet endroit de quatre à cinq cents pieds de largeur. Une assise de rochers sur laquelle se détachent quelques blocs de formes irrégulières lui fait faire un saut de douze pieds. Cette chute est à l’extrémité d’une baie allongée en forme de large canal, comme si les eaux voulaient parcourir un espace intermédiaire entre l’immense nappe d’où elles sortent et les étroites limites d’un fleuve dans lesquelles elles vont se resserrer. Speke a donné à cette baie le nom de « canal de Napoléon, » comme témoignage de reconnaissance envers la Société de géographie de Paris, qui lui a voté dans sa séance du 20 avril 1860 une médaille d’or, et à la chute celui de « Ripon, » en signe de respect et d’affection