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prouver que par une marque distinctive appliquée sur le dos de chaque animal, et qu’il est assez facile de dénaturer. On conçoit sans peine que les recherches de la justice étaient inefficaces sur un territoire si faiblement peuplé, et que la surveillance la plus active ne pouvait prévenir des délits de ce genre. Les plaines sur lesquelles les troupeaux sont dispersés ont une étendue telle que le maître ne peut les visiter souvent, et d’ailleurs, dans un troupeau nombreux, quelques centaines de têtes peuvent être enlevées sans qu’il y paraisse. Ces bandes de batteurs de buissons (bushrangers) sont moins nombreuses aujourd’hui, parce que la police est mieux faite, et le peu qu’il en reste se tient de préférence dans le voisinage des mines d’or, où le butin est plus considérable.

Des difficultés d’un autre ordre s’élevaient souvent entre les concessionnaires voisins à l’occasion des limites de leurs stations respectives. Les titres en vertu desquels les terres étaient occupées étaient si incertains, la désignation des surfaces concédées était si vague, qu’il arrivait souvent que le même terrain fût réclamé par plusieurs individus s’appuyant tous sur des actes réguliers. L’acte de concession, ce qu’on appelle la licence, n’était, à vrai dire, autre chose que l’autorisation de faire paître les troupeaux sur une certaine étendue de terrain choisie dans les districts encore inoccupés. Les limites n’en étaient pas tracées sur le sol ; le plus souvent il n’était pas fait d’arpentage préalable en vue de déterminer l’étendue réelle de la station. Tous ces inconvéniens étaient une conséquence inévitable de l’extrême liberté d’allures dont jouissaient les colons, inconvéniens assez faibles sans doute, puisqu’ils n’arrêtèrent jamais un seul instant les progrès de la colonie.

À cette époque, où les établissemens de l’Australie méridionale n’existaient pas encore et où les plaines de la Murray venaient à peine d’être découvertes, le pays ne produisait pas assez de céréales pour la nourriture de ses habitans. C’était un grand malheur ; mais, outre qu’il eût été très difficile de persuader aux colons qu’il fallait abandonner l’élève des troupeaux pour la culture du sol, le résultat même de ce changement paraissait douteux. On croyait en général que l’Australie ne serait jamais bonne qu’à produire de la laine. La sécheresse habituelle du sol et l’incertitude du climat semblaient s’opposer d’une façon absolue au succès des cultures artificielles. Puisque la contrée produisait spontanément d’excellens herbages, puisque les bestiaux s’y amélioraient et s’y multipliaient presque sans soins, qu’était-il besoin de chercher une autre industrie qui eût exigé plus de bras et plus de capitaux ? La main-d’œuvre était chère, et les ports de l’Amérique fournissaient à bon marché les grains nécessaires à l’alimentation. D’un autre côté, à mesure que