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crédit. D’abord il est juste de reconnaître que si les grandes plaines sèches et pierreuses ne conviennent qu’à l’élève des bestiaux, il y a en outre une étendue considérable de terrains bien arrosés où les cultures européennes réussissent toutes. D’ailleurs, à mesure que les squatters pénétraient plus avant dans l’intérieur, ne fallait-il pas créer derrière eux des villages, de petites villes, des centres de commerce, de ravitaillement et d’industrie ? Autour de ces centres n’était-il pas nécessaire d’avoir des jardins, de petites fermes, pour alimenter les habitans des denrées d’une consommation journalière ? L’état conservait sans doute le droit d’exproprier en partie les concessionnaires de runs pour les travaux d’utilité publique ; il pouvait tracer chez eux des routes, prendre les arbres indigènes, des pierres et autres matériaux fournis par le sol pour la construction ou la réparation des ouvrages publics. La propriété des mines de charbon et de métaux précieux était aussi réservée. L’état pouvait encore, à la rigueur et dans une certaine limite, déposséder les colons de l’espace strictement nécessaire à l’établissement des villages ; mais son droit n’allait pas plus loin. Si le petit commerçant, possesseur d’une vache et de quelques moutons, voulait les faire paître autour de son habitation, le concessionnaire l’accusait aussitôt d’empiéter sur son domaine. L’état voulait-il mettre en vente publique un lot de terrains propre à la culture, le propriétaire du run où ces terrains étaient situés s’armait de son droit de préemption. On reconnut, mais trop tard, qu’il n’existait pas, à proximité du littoral, un coin de cet immense continent qui fût disponible. On s’étonnera peut-être que les squatters fissent obstacle à la création de villages qui devaient, à un certain point de vue, être une ressource pour eux-mêmes et pour leurs serviteurs. Ils auraient accepté assez volontiers le voisinage d’une population sédentaire ; mais ils n’en voulaient ni chez eux ni à une proximité trop grande, parce qu’ils redoutaient les vols de chevaux et de bétail que ces voisins incommodes auraient pu commettre.

Sans la découverte de l’or, il se serait peut-être écoulé beaucoup de temps avant que les inconvéniens de ce régime se fissent sentir ; mais les mines attirèrent subitement un plus grand nombre. d’émigrans. Ceux-ci, après avoir acquis en quelques mois sur les champs, aurifères une fortune considérable, aspiraient à devenir propriétaires d’une maison et d’un champ ; enfin ils voulaient, après le dur labeur des mines, jouir en paix de leurs richesses dans un domaine qui leur appartînt. Les marchands et les marins, enrichis par le commerce et l’industrie, demandaient aussi à acheter des terres. Il y eut à une certaine époque une population flottante de six à sept mille habitans, campée à Melbourne ou dans les environs,