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III

Le commandant de la Calypso n’avait pu m’emmener avec lui. Je n’étais pas de ceux qui ont acquis le droit de se reposer. Pour obtenir le grade d’enseigne de vaisseau, il me fallait accomplir sans un jour d’interruption trois années d’embarquement. Je fus donc laissé dans le Levant ; seulement j’y fus laissé dans des conditions inespérées. Mon affectueux protecteur me plaça sur un brick où je devais faire le service d’officier, avoir ma chambre et ma place à la table de l’état-major. Ce n’était pas à cette époque une faveur très insolite. Les cadres étant devenus insuffisans depuis que les armemens se multipliaient tous les jours, la plupart des états-majors étaient complétés par des enseignes auxiliaires ou par des aspirans. Sur le brick à bord duquel j’avais été admis, je me trouvai le troisième aspirant, investi d’une confiance que je ne méritais pas complètement encore. J’avais le cœur bien gros en me séparant d’un commandant que je considérais comme un second père et de camarades qui sont restés mes meilleurs amis, tant est féconde l’influence qu’exerce autour de lui un chef aimé ; mais j’allais avoir ma chambre et commander mon quart. Il y avait bien là de quoi me consoler. Disons-le d’ailleurs, j’avais besoin de passer sous une discipline un peu plus rigoureuse que celle qui régnait à bord de la Calypso. Mon embarquement sur le brick l’Actéon fut pour moi un grand bonheur. J’y pris des habitudes d’application et de régularité que le poste de la Calypso ne m’aurait jamais données.. Le service de l’Actéon était fort actif. Pendant plusieurs mois, nous battîmes l’archipel dans tous les sens pour donner la chasse aux pirates. Il n’y a pas de navigation qui puisse mieux former un jeune officier. Contraint de louvoyer de jour et de nuit dans des canaux étroits, on apprend à ne pas craindre le voisinage de la terre et à manœuvrer avec peu de monde, car il faut bien que les équipages dorment, et, à moins de circonstances exceptionnelles, on doit virer de bord, prendre des ris avec une seule bordée.

Pendant ce temps, la question d’Orient se montrait à l’horizon. Le pacha d’Égypte envahissait la Syrie. Méhémet-Ali était riche ; il avait en quelques années créé une armée et une flotte. Mis dans le cas de légitime défense par les intrigues de Khosrew et la jalousie du sultan Mahmoud, il avait pris résolument l’offensive. Son fils Ibrahim battait les Turcs sur terre pendant que la flotte d’Osman-Pacha tenait en respect la flotte ottomane. Nous reçûmes l’ordre d’aller surveiller les mouvemens des deux escadres. La flotte de Stamboul fut la première que nous rencontrâmes. Elle avait été